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de la cheminée. Il devait en être de même dans plus d’une demeure canadienne, à cette époque. « À quatre cheminées, dit la supérieure des ursulines, nous brûlons par an cent soixante-quinze cordes de gros bois ; après tout, quoique le froid soit si grand, nous tenons le chœur tout l’hiver, mais l’on y souffre un peu. »

Introduire des poêles dans l’église ! On ne concevait pas un pareil luxe à une époque où les couteaux de table étaient regardés comme une fantaisie ridicule et blâmable. Il y eut même, en France, une croisade en règle contre les fourchettes. « À quoi servent donc les cinq doigts de la main ? » s’écriaient les contempteurs de cette nouvelle mode. Les sauvages partageaient ces idées. Mais, comme le froid est un grand maître, il fallut, au Canada, faire un compromis. L’année 1645, à la messe de minuit, il « y avait quatre chandelles dans l’église, dans des petits chandeliers de fer en façon de gonçole, et cela suffit, dit le Journal des Jésuites. Il y avait, en outre, deux grandes chaudières fournies du magasin, pleines de feu pour échauffer la chapelle. » Sans doute, les hommes portaient des calottes et les femmes des « thérèses » ; voilà pour la tête. Le corps était couvert de pelisses et de « gros capots ». Les hommes portaient des hauts-de-chausses, et, par-dessus les bas-de-chausse, de moelleuses « chaussettes de Frise » ; car le mot chaussette s’appliquait alors à ce que nous nommons des « bas », et on s’en revêtait jusqu’aux genoux.

Le jour de Noël 1647, « il y eut trois pains bénis : taillandiers, chirurgiens et boulangers… Il y avait trop de chaudières… deux suffisent avec celle de monsieur le gouverneur, et elles furent allumées trop tard, de sorte qu’il fallut les faire ôter ; il y en avait cinq ou six. » Elles jetaient trop de fumée. Plus tard, en 1668, lorsque mademoiselle Marie de Lauson entra au noviciat des ursulines, on introduisit, à la demande de sa famille, des poêles dans le monastère. Les églises en furent privées jusque vers l’année 1800. Le prêtre qui célébrait tenait une chaufferette sur l’autel ; quelques paroissiens avaient des réchauds sous les pieds. Les poêles des forges Saint-Maurice, qui datent de 1730 au moins, attendirent près d’un siècle le privilège d’entrer dans la maison du bon Dieu.

« Autrefois, en France, dit l’auteur de la Vie privée des Français, l’usage des bancs dans les églises n’étant pas introduit, les personnes infirmes ou âgées y faisaient apporter leurs sièges. Dans certaines fêtes d’hiver, on couvrait toute l’église de paille, afin que le peuple, qui s’asseyait ou s’agenouillait sur la terre, n’en ressentît pas d’incommodité. Dans les grandes fêtes d’été, on jonchait l’église de fleurs et de feuillages. » Un peu de paille n’eut pas été hors de propos, de décembre à mars, dans les églises du Canada.

Voici trois citations tirées du Journal des Jésuites : « Le premier coup de la messe de minuit (1645) sonna à onze heures ; le deuxième, un peu avant la demie, et pour lors on commença à chanter deux airs : Venez, mon Dieu, et Chantons Noël, etc. Monsieur de la Ferté (Jean, fils de jean Juchereau) faisait la basse, et Saint-Martin (Martin Boutet) jouait du violon ; il y avait encore une flûte d’Allemagne, qui ne se trouva pas d’accord quand ce vint à l’église. Nous eûmes fait un peu devant minuit ; on ne laissa pas de chanter le Te Deum, et un peu après on tira un coup de canon pour signal de minuit ; on commença la messe. Le