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tourner notre attention. Lorsque, dans un mouvement, dans une démarche quelconque, il y aura clairement à gagner pour notre nationalité, ne nous inquiétons du reste que secondairement. Notre nationalité, c’est la maison ; tout le reste n’est que l’accessoire, qui devra, nécessairement, suivre le principal. Soyons nationalement et socialement forts et puissants, et nous le serons politiquement. Au contraire, si nous négligeons le soin de notre nationalité, les occasions de la raffermir, soyons bien sûrs que personne ne viendra nous tendre la main au moment du besoin ou du danger. » Ces paroles, que l’on prendrait pour un programme récemment conçu, expriment tout un mode d’action déjà ancien, introduit avec nous dans cette colonie. Ce que nous avons arraché de libertés et de privilèges aux Français d’abord, aux Anglais ensuite, provient de cette manière d’agir. Cela s’appelle le patriotisme — il est contenu en quatre mots : voir à nos affaires. On s’étonne avec raison d’entendre nos compatriotes d’origine anglaise invoquer (depuis quinze ans) la nécessité du sentiment national au Canada, et déplorer qu’il n’y ait jamais existé ni chez les Canadiens ni chez les Anglais ; quelques-uns de leurs journalistes vont jusqu’à soutenir que les Canadiens-français se prêteraient volontiers à cette noble éducation si on les y appelait ! Voilà deux siècles et demi que nous pratiquons la « nouvelle » école — et nous nous en trouvons bien. Avis au lecteur.

M. Guillaume Levesque disait, en 1848 : « Le trait de caractère le plus important que le Canadien doit à l’hiver et à la rigueur du climat est cette force d’inertie, cette puissance de résistance qui lui permet de faire face aux influences les plus fortes. L’habitude de tenir ferme contre les lois impérieuses de la nature persiste et s’applique à toutes les autres influences contre lesquelles il a à lutter ; ainsi les puissances d’un autre ordre, celles qui appartiennent à la politique relativement à la nation, et celles qui dépendent de la morale relativement à l’individu ; les dangers publics et les accidents et périls que chacun rencontre dans la vie le trouvent-ils toujours prêt à les affronter, soit qu’il entreprenne de les combattre, ou bien que, se sentant faible vis-à-vis d’eux, il leur présente un front impassible, les accepte sans plier, en se résignant à la nécessité de les supporter, et attendre qu’ils soient passés et que des circonstances meilleures se présentent, comme les beaux jours et le printemps après l’hiver… Ce sont les premières générations qui sont nées et se sont perpétuées en Canada qui se sont ainsi moulées à la nature. Celle-ci régnait toute puissante, en effet, lorsque les habitants étaient peu nombreux. Il leur a fallu se conformer aux exigences des lieux et du climat pour pouvoir y vivre ; et leurs efforts étaient nuls contre des forces qui ne cèdent jamais, ou ne se modifient tout au plus que quand les peuples sont devenus tellement nombreux que les forces propres de l’intelligence et de la pensée peuvent, jusqu’à un certain point, contrebalancer quelques-uns des effets de la puissance de la nature. Les Canadiens n’en sont pas encore rendus là, et le fond de leur caractère est aujourd’hui le même que celui des premières générations qui ont habité ce pays. Les autres populations venues ensuite partager notre sol sont encore trop nouvelles et ont conservé trop de relations avec leur pays d’origine pour s’y être identifiées aussi complètement, et les renforts qu’elles reçoivent continuellement de l’Europe les aident à se maintenir encore contre les influences locales qui