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lu de la Suède et de la Russie. Grâce à ce que les habitants de nos campagnes ont tous leurs habitations sur une même ligne et le long des grands chemins, et que les rangs ne sont jamais très éloignés les uns des autres, ces interruptions de longue durée ne sauraient avoir lieu dans les communications, et il est impossible qu’un canton soit jamais pendant plusieurs jours isolé du reste du pays. C’est là un avantage immense et dont le prix ne se fait sentir qu’à ceux qui en sont privés… Des établissements du Saguenay se trouvent dans ce cas ; ils sont renfermés dans leur canton durant tout l’hiver, faute d’un chemin bordé d’habitations, qui y conduise depuis le fleuve ; leurs pressantes demandes seront sans doute écoutées par le gouvernement, et on en reviendra, quoiqu’on en dise, à l’ancien système canadien de former des établissements en ligne, afin d’avoir des chemins d’hiver praticables. Cette distribution du pays en « côtes » et en « rangs » était donc conforme aux exigences de notre climat ; et elle a eu les résultats les plus utiles ; à ce point que les voyageurs sont beaucoup plus nombreux en hiver qu’en été, et cela est dû à ce qu’ils sont plus faciles et plus rapides même qu’en cette saison partout où l’on n’a pas à sa disposition ces puissants moyens de transport accéléré que la vapeur fournit alors ; car ce moteur si puissant cède devant la rigueur de l’hiver, et les modifications qu’il a apportées à notre manière de voyager ne se font sentir que durant la moitié de l’année[1]. Aussi, rien n’a été changé à nos moyens de communication pendant le temps que la terre est couverte de neige et que les fleuves sont glacés, depuis les premiers temps du Canada… Il n’est guère de pays où l’esprit de sociabilité se soit plus développé qu’en Canada, et il n’en existe certainement aucun où les relations de connaissance et de société s’étendent à de si grandes distances. Outre que notre nature française nous y portait instinctivement, la distribution des établissements et les loisirs de l’hiver ne pouvaient manquer d’augmenter ce penchant de sociabilité qui se serait peut-être éteint dans d’autres circonstances. Tous les Canadiens sont voisins les uns des autres, et c’est le voisinage qui fait naître et conserve l’intimité qui existe entre eux ; elle se forme dans ces rencontres de chaque instant, dans ces visites journalières, dans cette réciprocité de bons offices qui en résultent. Or, pour peu que vous ayez le goût de la société, et que ceux qui vous avoisinent d’un peu plus loin aient la même disposition, vous devenez visiteur amical et serviable ; et quand les visites sont rendues faciles par de bons chemins, elles deviennent fréquentes, elles vont encore plus loin, et la société s’agrandit et couvre un plus grand espace à mesure que le nombre des amis augmente. J’allais dire le « cercle des amis » ; j’ai tort, messieurs, de me servir de ce mot par rapport à la sociabilité de notre pays ; cette expression n’est applicable, à la campagne, qu’aux pays où les habitations sont disséminées sans ordre sur la surface du terrain, ou groupées en villages et en hameaux, comme dans toute l’Europe. Il en est autrement dans notre pays. Les Canadiens sont tous en ligne et par rang, et c’est là la véritable cause de l’extension et de la généralisation des relations sociales. Par cette disposition particulière des habitations, il n’y a pas un seul Canadien qui n’ait un voisin assez rapproché pour se rencontrer avec lui et causer plusieurs fois le jour, et en même temps il

  1. Il y a trente ans, la vapeur ne s’appliquait encore qu’à nos bateaux. Aujourd’hui, les chemins de fer sillonnent le pays, hiver comme été.