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cet avantage d’être construites en vue du confort et des besoins du pays. Les doubles-portes ouvrant sur l’extérieur, les bourrelets de flanelle qui s’ajustent si bien aux ouvertures, les doubles-châssis qu’on enlève le printemps et qu’on replace l’automne, rien ne manquait à ces demeures commodes. Les planchers en bois, recouverts de catalogues fabriquées par les Canadiennes, sont clos et propres. La cave est comme une seconde maison, chaude l’hiver, fraîche l’été. Toute la construction offre des chambres de plein pied : on ne circule pas mieux dans un palais. Le terrain étant spacieux, il n’y a point à se gêner ; le bois de chauffage est sous la main en abondance — on fait une grande maison pour se mettre à l’aise l’été, et l’hiver on chauffe hardiment.

Bientôt aussi s’introduisit la coutume de ne point grouper les habitations à la mode de France. Ni hameaux ni villages, mais des files de maisons. Le mot village ne nous est connu que par les livres. Nos terres, étroites et longues, s’alignent par un bout à une rivière : c’est là que passe la route, laquelle mérite plutôt le nom de grande rue. Toutes les maisons regardent couler l’eau. Les voyageurs et les passants vont pour ainsi dire d’une porte à l’autre. Aussi les auberges et les hôtelleries ont-elles été rares, très rares parmi nous durant plus de deux siècles : on n’en sentait pas le besoin.

Une conférence, écrite en 1848 par M. Guillaume Levesque, expose fort bien cette situation : « Toutes les lignes qui limitent les propriétés ont eu le fleuve pour base, et en sont parties perpendiculairement, et comme ces lignes droites toutes rattachées à la dominante se sont continuées sans dévier vers l’intérieur, les rangées d’établissements se sont échelonnées les unes derrière les autres, en suivant les mêmes proportions dans la répartition du terrain, de sorte qu’aujourd’hui le plan cadastral du Bas-Canada présente un échiquier formé de parallélogrammes à base très étroite sur une grande hauteur… Dans ces premiers temps, personne ne voulait s’éloigner des rives du Saint-Laurent ; et si, aujourd’hui encore, les terres qui les bordent ont une valeur plus grande que les autres terres, une valeur d’affection j’ose dire, elles devaient à cette époque avoir un attrait beaucoup plus grand encore. De sorte qu’il fallait contenter ce goût uniforme et commun à tous. De là vient que toutes les concessions ont peu de largeur sur le front, et une profondeur démesurément grande. Et cette règle suivie sur les bords du Saint-Laurent s’est étendue aux autres rivières et a été appliquée non-seulement aux concessions des seigneuries, mais aussi aux terres dans quelques townships. Cet amour des bords du fleuve était tellement vif, qu’avant même qu’un second rang de terres fussent occupées à une demi-lieue du rivage, toutes les côtes du fleuve étaient peuplées d’un bout à l’autre du pays. Et ce n’est que depuis un demi-siècle environ que les Canadiens, ne trouvant plus de terres sur le front, se sont décidés à s’avancer de quelques lieues dans l’intérieur… Dans les pays du nord de l’Europe, autrement distribués que le nôtre, presque toutes les communications sont interrompues à plusieurs reprises et souvent pendant des semaines entières. Les chemins sont encombrés de neige, et il faut attendre qu’il survienne un dégel, à la suite duquel la neige forme une croûte assez forte pour porter les chevaux. Alors seulement on peut se mettre en voyage ; au moins c’est ce que j’ai