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Faisons toujours parler les témoins de l’ancien temps, et parmi ceux-ci M. Boucher, l’un des plus en état de nous instruire : « Y a-t-il des chevaux dans le pays ? Je réponds que non. N’y a-t-il pas des prairies pour faire du foin ? L’avoine n’y vient-elle pas bien ? Parfaitement bien, et il y a de très belles prairies : mais il est assez dangereux d’avoir le foin tant que les Iroquois nous feront la guerre, et surtout aux habitations des Trois-Rivières et de Montréal ; car les faucheurs et les feneurs sont toujours en danger d’être tués par ces Iroquois. Voilà la raison pourquoi on fait moins de foin, quoique nous ayons de belles et grandes prairies, où il y a de très bonne herbe propre à ce faire. Mais il y a encore une autre raison qui empêche d’avoir des chevaux : c’est qu’il coûterait beaucoup pour les faire venir de France ; il y a peu de personnes qui aient de quoi faire ces dépenses ; et d’ailleurs on craint qu’étant venus, les Iroquois ne les tuent comme ils font de nos autres bestiaux, ce qui serait bien fâcheux à celui qui aurait fait la dépense de les faire venir. Et puis, on espère toujours que notre bon roi assistera ce pays-ici, et qu’il fera détruire cette canaille d’Iroquois… Les journées des hommes y sont-elles chères ? Vingt sols étant nourris pendant l’hiver, et trente sols[1] étant nourris pendant l’été. » La mère de l’Incarnation, autre témoin précieux pour notre histoire, disait en 1651 : « C’est une chose étonnante combien les artisans et les manœuvres sont chers ici ; nous en avons à quarante-cinq et à cinquante-cinq sols par jour. Les manœuvres sont trente sols par jour avec leur nourriture. Notre accident[2] étant arrivé inopinément, nous étions dépourvues de tous ces gens-là ; c’est ce qui fait qu’ils nous coûtent cher ; car dans la nécessité nous en faisons venir de France à un prix plus raisonnable. On les loue pour trois ans, et de la sorte ils trouvent leur compte et nous aussi. Quatre bœufs, qui font notre labour, traînent les matériaux de bois et de sable ; nous tirons la pierre sur les lieux. » Ces citations expliquent mieux l’état du pays et le mode d’existence des habitants que les chapitres les plus soignés dus à la plume des écrivains de nos jours.

« Les personnes, dit M. Boucher, qui sont bonnes dans ce pays-ici sont des gens qui mettent la main à l’œuvre soit pour faire ou pour faire faire leurs habitations, bâtiments et autres choses ; car, comme les journées des hommes sont extrêmement chères ici, un homme qui ne prendrait pas soin et qui ne serait pas d’économie se ruinerait ; mais pour bien faire, il faut toujours commencer par le défrichement des terres, et faire une bonne métairie, et par après on songe à autres choses ; et ne pas faire comme quelques-uns que j’ai vus, qui ont dépensé tous leurs biens à faire faire de beaux bâtiments qu’ils ont été contraints de vendre après, à beaucoup moins qu’ils ne leur avaient coûté… De quoi sont bâties les maisons ? Les unes sont bâties toutes de pierres, et couvertes de planches ou aix de pin ; les autres sont bâties de collombages ou charpente, et maçonnées entre les deux ; d’autres sont bâties tout à fait de bois ; et toutes les dites maisons se couvrent comme dit est, de planches. »

Ces maisons des premiers temps ne ressemblaient pas, on le conçoit, aux élégantes villas qui bordent aujourd’hui les routes de nos campagnes ; mais de tout temps elles ont eu

  1. Avec un sou de ce temps, on se procurait ce qui nous coûte aujourd’hui cinq sous.
  2. L’incendie du monastère des ursulines.