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de ces pois verreux pleins de cosson, comme on en voit en France ; les lentilles, la voisse, l’avoine et le mil y viennent parfaitement bien ; les grosses fèves y viennent bien aussi ; mais il y a de certaines années qu’il y a de grosses mouches qui les mangent quand elles sont en fleur. Le blé sarazin y vient aussi ; mais il arrive quelquefois que la gelée le surprend avant qu’il soit mûr. Le chanvre et le lin y viennent plus beaux et plus haut qu’en France. Les grains que cultivent les sauvages, et qu’ils avaient avant que nous venions dans le pays, ce sont gros mil ou blé-d’Inde, faizoles ou haricots, citrouilles d’une autre espèce que celles de France ; elles sont plus petites et ne sont pas si creuses, ont la chair plus ferme et moins aqueuse, et d’un meilleur goût ; du tournesol, de la graine duquel ils font de l’huile qui est fort délicate et de très bon goût ; de l’herbe à la reine, ou petun, dont ils font leur tabac, car les sauvages sont grands fumeurs et ne se peuvent passer de petun. Voilà en quoi consiste la culture des sauvages. Toutes sortes de naveaux et rabioles, betteraves, carottes, panais, cercifis et autres racines viennent parfaitement et bien grosses. Toutes sortes de choux y viennent aussi en leur perfection, à la réserve des choux à fleur que je n’y ai point encore vus… On n’a point encore planté ici d’arbres de France, sinon quelques pommiers qui rapportent de fort bonnes pommes et en quantité, mais il y a bien peu de ces arbres… Il y a une autre espèce d’arbre qu’on appelle érable qui vient fort gros et haut ; le bois en est fort beau, nonobstant quoi on ne s’en sert à rien qu’à brûler, ou pour emmancher des outils, à quoi il est très propre, à cause qu’il est extrêmement doux et fort. Quand on entaille ces érables au printemps, il en dégoutte quantité d’eau qui est plus douce que de l’eau détrempée dans du sucre, du moins plus agréable à boire… Pour des fleurs, on n’en a pas encore beaucoup apporté de France, sinon des roses, des œillets, tulipes, lys blancs, passeroses, anemones et pas-d’alouette qui font tout comme en France. » Quelques années auparavant, la mère de l’Incarnation disait : « Vous me demandez des graines et des oignons de fleurs de ce pays. Nous en faisons venir de France pour notre jardin, n’y en ayant pas ici de fort rares ni de fort belles. Tout y est sauvage, les fleurs aussi bien que les hommes. » Écoutons encore M. Boucher : « Quelle boisson boit-on à l’ordinaire ? Du vin dans les meilleures maisons ; de la bière dans d’autres ; un autre breuvage que l’on appelle du bouillon[1], qui se boit communément dans toutes les maisons ; les plus pauvres boivent de l’eau, qui est fort bonne et commune en ce pays-ici. »

L’abus de l’eau-de-vie était devenu, vers cette époque, une véritable plaie pour la colonie. La rigueur du climat favorisait l’usage des boissons alcooliques, comme aussi la consommation des viandes grasses. Il est probable que les boudins, les riches tourtières, les pannes, les porcs-frais, les graisses de rôts, les saucisses, les Saintes-Ménéhoulds, les cochons de lait et les gretons étaient déjà en faveur parmi nos gens lorsque M. Boucher écrivait. Ce

  1. Dans l’inventaire des meubles de Jacques Hertel, en 1651, il est fait mention de cinq barriques de bouillon. Ce breuvage, qui n’est plus connu en Canada, était, au dix-septième siècle, très répandu parmi les pauvres gens en Picardie. Le dictionnaire de Trévoux note qu’il avait beaucoup de rapport avec le chousset des Turcs, lequel est fait de pâte crue mais levée, qu’on cuit dans un chaudron plein d’eau, et quand elle est rassise puis séchée, l’on en prend la grosseur d’un œuf qu’on jette dans l’eau pour boire.