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erreur. Elle écrivait en 1650 : « Si l’Iroquois poursuit ses conquêtes et ses victoires, il n’y a plus rien à faire ici pour les Français. Le commerce ne pourra pas s’y exercer ; le commerce ne s’y exerçant plus, il ne viendra plus de navires ; les navires n’y venant plus, toutes les choses nécessaires à la vie nous manqueront, comme les étoffes, le linge, la plus grande partie des vivres, comme les lards et les farines dont la garnison[1] et les maisons religieuses ne peuvent se passer. Ce n’est pas qu’on ne travaille[2] beaucoup et qu’on ne fasse des nourritures, mais le pays ne donne pas encore ce qu’il faut pour s’entretenir[3]. La troisième chose qui retarde nos affaires est que, si le commerce manque par la continuation de la guerre, les sauvages, qui ne s’arrêtent ici que pour trafiquer, se dissiperont dans les bois ; ainsi, nous n’aurons plus que faire de bulle, n’y ayant plus rien à faire pour nous qui ne sommes ici que pour les attirer à la foi et pour les gagner à Dieu. Vous pouvez juger de là qu’un évêque ne viendra point ici dans un temps si plein de calamités ; outre que l’Église n’y ayant été que passagère, il n’y a que faire de pasteur : je parle dans la supposition que Dieu permît l’extrémité que l’on appréhende. » L’année suivante, elle disait : « Croiriez-vous que, pour quarante à cinquante[4] personnes que nous sommes, y compris nos ouvriers[5], nous n’avons plus (de farine) que pour trois fournées de pain, et nous n’avons nulle nouvelle des vaisseaux qui apportent des rafraîchissements à ce pays ! » Et en 1652 : « Nous avons encore souffert cette année une perte considérable par le débris du premier vaisseau, qui est venu faire naufrage au port, où il a échoué sur une roche. Toutes nos farines ont trempé dans l’eau salée, ainsi que tous nos autres rafraîchissements. Car encore qu’on ait sauvé une bonne partie des marchandises, néanmoins les eaux de la mer les couvrant toutes à chaque marée, elles ont entièrement diminué leur force et leur prix. » En même temps, parlant de la guerre civile qui désolait le royaume, elle ajoute : « On nous a fait voir les choses en tel état que nous craignons que la famine ne soit en France et que de là elle ne passe ici, puisque, s’il est ainsi, il y a sujet de craindre qu’on ne nous envoie rien l’année prochaine, ce qui mettrait le pays dans un pitoyable état. Ce n’est pas qu’on y mourrait de faim, parce qu’il y a du blé raisonnablement, mais il y a tant d’autres choses nécessaires à la vie, que si on laissait le pays seulement une année sans secours, il serait tout à fait bas, surtout par la disette du vêtement… Le pain d’ici a meilleur goût que celui de France, mais il n’est pas du tout si blanc ni si nourrissant[6] pour les gens de travail. Les légumes y sont aussi meilleures et en aussi grande abondance. » La Relation de 1653 fait un aveu : « Pour ce qui est de la fertilité des terres, elles sont ici de bons rapports. Les grains français y viennent heureusement, et nous pouvons en cela nous passer des secours de la France, quelque nombre que nous soyons ici. Plus il y aura d’habitants, plus serons-nous dans l’abondance. Le bétail et les lards sont une douceur

  1. Les soldats ne produisant rien, il fallait les nourrir des provisions apportées de France.
  2. Les habitants travaillaient pour eux.
  3. Nous croyons que les habitants, dès 1650, récoltaient suffisamment pour leur nourriture. Mais restait la classe des religieux et des religieuses, qui s’élevait à pas moins de cent personnes. C’est de cette classe que parle ici la mère de l’Incarnation.
  4. Ceci ne s’applique pas aux hospitalières ni aux jésuites.
  5. On reconstruisait le monastère détruit l’année précédente par un incendie.
  6. Il était donc bien mal fait !