Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome III, 1882.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.

CHAPITRE VII


Mœurs et coutumes des premiers Canadiens : cultures, maisons, nourriture, disposition des terres.



F

aute de secours de France, les premiers Canadiens se tiraient d’affaire comme ils le pouvaient. La nourriture que leur fournissait la chasse et que donnaient les terres pouvait à la rigueur les dispenser des viandes et des blés de la mère-patrie, mais il n’en était pas de même du linge et des outils. On se tromperait donc beaucoup en pensant que les Habitants vivaient de salaisons et risquaient de mourir de faim, comme du temps de Champlain, lorsque les navires tardaient à paraître. Ce qui les gênait, c’était la restriction des droits du commerce, et avec cela la guerre des Iroquois ; car si, d’une part, les marchandises de provenance européenne étaient tarifées à des prix abusifs, le manque de protection contre l’ennemi rendait, de l’autre côté, l’existence du colon fort misérable. Dans quelques colonies, on avait l’habitude de défendre la culture du sol, afin d’enrichir les marchands ; mais chez nous, ce système n’a jamais existé, de sorte que nous avons vécu, à partir de 1636 à peu près, du produit de nos récoltes ; ce fut le cas pour Beauport et les Trois-Rivières. À Montréal, on se trouva plus gêné. « Dès le commencement de cette habitation (1642-3), dit M. Dollier de Casson, on avait bien semé un peu de pois et du blé-d’Inde, et on continuait fort cette agriculture tous les ans, mais cela n’était rien à tant de monde ; ils consommaient outre cela beaucoup de vivres qui venaient de France, encore cela n’était-il pas suffisant. » Les Cent-Associés, déjà tièdes à l’égard de Québec et des Trois-Rivières, étaient parfaitement froids vis-à-vis de Montréal, et, comme les Iroquois empêchaient les travaux des champs autour de ce dernier poste, la situation de ses habitants était des plus précaires.

« Environ vers ce temps (décembre 1645), on commença, dit le Journal des Jésuites, à faire le pain à la maison, tant à cause que celui qu’on nous faisait au four du magasin (des Cent-Associés) n’était pas bon, que parce que l’on se voulait servir du blé du pays, dont on ne se servait point au magasin. » Naturellement, les Cent-Associés faisaient venir leur farine de France, et se seraient bien gardés d’en acheter des Habitants. D’ailleurs, le sentiment de tous les Français s’écartait des gens du pays : les marchands ne désiraient que la traite ; les religieux, la conversion des sauvages. La mère de l’Incarnation tombe souvent dans cette