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Canadiens-français, songez de quelle énergie étaient doués leurs ancêtres quand ils quittèrent la Normandie pour s’établir sur les bords du Saint-Laurent. Que sont-ils aujourd’hui ? C’est le peuple le plus aimable de l’Amérique ; mais la tutelle de la France, puis celle de l’Angleterre, ont abaissé son intelligence presque au niveau de l’aborigène dont il avait su conquérir le territoire. »

Voilà deux cents ans que nous habitons ce pays. On nous a trouvé constamment en lutte avec la forêt ou avec les hommes — défrichant le sol, fondant des villes, ouvrant des routes, établissant des villages, des écoles, des colléges. Les guerres des sauvages nous ont coûté de l’argent, du sang et des peines. Les guerres des Anglais nous ont écrasés, parce que la France nous abandonnait contre des forces dix fois supérieures. Après la conquête, les persécutions ont commencé ; nous nous sommes réfugiés sur nos terres, sur ce sol arrosé des sueurs et du sang de nos pères ; les habitants sont restés le corps et la force du pays. Malgré les abus du pouvoir, malgré notre pauvreté, il y avait en nous assez de courage et de valeur intellectuelle pour entreprendre les luttes politiques : nous les avons entreprises résolument. Elles ont duré trois-quarts de siècle, et, pied à pied, nous avons regagné le terrain perdu par la faute de l’ancienne mère-patrie ; nous nous sommes refait politiquement, commercialement, et avec tous les caractères qui constituent une nationalité bien vivace. D’un océan à l’autre, sur les vastes contrées ouvertes à la civilisation par nos pères et par leurs fils, nous sommes aujourd’hui le principal groupe autour duquel se rangent ou contre lequel combattent les phalanges politiques. Le rang que nous occupons, après avoir subi des désastres immenses, ferait honneur à n’importe quel peuple, car il atteste de la trempe morale et physique de la nouvelle race, la race canadienne-française.

Il y aurait bien des commentaires à écrire sur cette étrange accusation de dégénérescence. Prenons le paysan d’Europe, l’ancêtre de la famille canadienne : il est resté ce qu’il était il y a deux siècles : ignorant, pauvre, excessivement borné dans les choses de l’ordre politique ; en un mot, il n’est rien et a toujours valu zéro dans les affaires publiques. Tandis que le niveau s’élevait autour de lui, tant du côté de l’intelligence que sous le rapport du bien-être matériel, le paysan d’Europe demeurait stationnaire. Le reste de la population, qui compose avec lui ce que l’on appelle ordinairement « le peuple », loin de progresser, s’est au contraire imbu de passions mauvaises et de principes dégradants qui annoncent plutôt la déchéance que le relèvement de la famille européenne. Nous ne sommes pas aussi avancés que cela.



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