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Domingue comparés aux Français, et les Canadiens (créoles du Canada) comparés encore aux Français.

Puisque, en moins de trois siècles, ces nouveaux peuples se sont modifiés au point d’offrir des traits physiques, moraux et intellectuels qui les distinguent des races européennes dont ils sortent, on doit en conclure que le type primitif de l’humanité, représenté par Adam et Ève seuls, a pu se modifier aussi, dans une longue suite de siècles, et produire les variétés de races, peuples et peuplades qui couvrent le globe. C’est la thèse des monogénistes.

Ces derniers donnent raison à la Genèse, mais ils tombent dans l’excès lorsqu’ils citent les Canadiens comme des exemples de modification avancée. Il y a entre les Français et nous des différences faciles à noter, mais non pas très grandes et surtout point à notre désavantage. Ces messieurs de la science ne sont pas exempts des préjugés européens. Rien ne les autorise à nous transformer en sauvages ou en crétins. Le moindre examen, sur les lieux, ferait voir que nous nous sommes améliorés notablement sous le rapport physique, et que nous n’avons rien perdu du côté intellectuel.

Knox, polygéniste enragé, s’empare de l’argument de l’école rivale, et, posant en principe que chaque race d’hommes est un produit local qui, par conséquent, ne saurait vivre en dehors de la région et du climat qui l’ont vu naître, il montre que nous ne pouvons que marcher vers la décadence, nous les Français transplantés d’un bord à l’autre de l’Atlantique. Selon lui, le type européen s’efface chez nous ; le Franc et le Gaulois s’amoindrissent ; le nouveau sol, qui n’est propre qu’à produire des sauvages, nous transfigure dans ce même sens !

— Oui, fort bien, répondent les adversaires ; mais ce n’en est pas moins un signe de la formation ou « création » d’une nouvelle race d’hommes. Cela prouve, une fois de plus, qu’il n’y a eu qu’un type original — Adam et Ève — et qu’il s’est modifié d’âge en âge, sur divers points du globe, de manière à nous faire voir les différences parfois surprenantes qui existent entre les races.

— Ta, ta, ta ! répliquent les polygénistes, ce qui s’observe chez les Canadiens ne peut être qu’un signe de dégénérescence et de mort. Cette race n’étant plus chez elle, c’est-à-dire dans le seul milieu qui lui convienne, elle s’éteint. Nombre de voyageurs et de savants nous portent à le croire.

Voilà bien des preuves contraires !

Il est évident que ceux qui argumentent de la sorte ne savent rien du Canada ; mais leur position dans la science les met à l’abri du doute. On leur donne des professorats, des pensions ; ils sont décorés et respectés à peu près autant que les diplomates, et beaucoup plus que les prêtres.

Ce que nous en disons est uniquement pour faire voir à nos compatriotes, combien d’influences diverses et parfois élevées contribuent à nous nuire dans l’esprit du lecteur européen. La science offre, à l’heure qu’il est, le spectacle étrange d’hommes considérables s’exerçant à trouver des signes de décadence dans le peuple qui réunit précisément le plus de preuves de sa vitalité passée et présente.