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Sauvages ! Pourquoi ne serions-nous pas différents des Français, puisque notre sang est mêlé avec celui des Indiens ?

Ce raisonnement a été, jusqu’ici, victorieux partout. Il n’a qu’un défaut, c’est d’être basé sur un fait imaginaire.

Dès l’origine de la colonie, on mit des obstacles aux mariages des blancs avec les sauvages, et cela parce qu’on s’apercevait que les Français, loin de civiliser les indigènes, adoptaient leur genre de vie, devenaient sauvages, en un mot, tant la vie des bois exerce de l’empire sur les imaginations vives.

La généalogie de chacune de nos familles est retracée. On peut se convaincre, en analysant ces travaux, que dix ou douze mariages seulement entre blancs et Indiens ont eu lieu dans le cours du premier siècle de la colonie. La plupart de ces unions n’ont laissé aucune descendance. Et voilà sur quoi on s’appuie pour nous mettre au rang des « fils de la nature. »

L’erreur que l’on commet sur ce point est doublement curieuse. Sans l’aide des renseignements les plus simples, on nous infuse du sang algonquin dans les veines ; puis on s’empresse de raisonner sur ce « fait acquis, » et d’en conclure que nous sommes dégénérés. Or, il n’y a qu’à voir, dans le Nord-Ouest, si la trempe du Français s’est amollie au contact des tribus sauvages. Nous avons, là-bas, un groupe de nos gens qui s’y sont mariés avec des femmes indiennes. Leurs enfants composent la population la plus intrépide, la mieux charpentée physiquement qui existe dans l’Amérique du Nord.

Il s’en suit que si les familles françaises des bords du Saint-Laurent s’étaient alliées aux indigènes, le peuple qui serait sorti de cette combinaison posséderait encore plus de force physique que celui d’à présent. Où sont les calculs de la science ?

Knox affirme que les sous-races, c’est-à-dire les descendants de race saxonne et de race gauloise, qui ont peuplé les États-Unis et le Canada (les Yankees et les Canadiens-français) portent des marques de modifications du type primitif qui attestent que ces races ne peuvent se propager et subsister sur le nouveau continent.

Jusqu’ici, les faits ne lui donnent guère raison en ce qui regarde les Canadiens.

Nous servons de sujet aux études de deux écoles savantes adverses : les monogénistes et les polygénistes.

Qui dit monogéniste dit partisan de la croyance biblique que l’humanité est issue d’un seul et unique couple : Adam et Ève.

Les polygénistes croient à la pluralité d’origine des races humaines. Selon eux, il y aurait eu autant d’Adam et d’Ève qu’il y a, par exemple, de couleurs dans les races, noir en Afrique, jaune en Asie, blanc en Europe — sans compter l’Amérique et certaines îles du grand Océan.

Entre les deux écoles, la dispute est ouverte depuis longtemps.

En dépit du principe qu’ils soutiennent, les polygénistes ont été forcés de reconnaître que quelques races, transplantées dans un autre pays, y ont subi des modifications, soit pour le mieux, soit pour le pire. On cite les Yankees comparés aux Anglais, les créoles de Saint-