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hommes sont obligés de faire des travaux très pénibles à une température basse. Les Canadiens-anglais n’ont pas encore donné les mêmes signes de progrès. Au physique, ils ne sont pas, comme les Canadiens-français, supérieurs à leurs ancêtres, parce qu’il ne s’est pas encore écoulé assez de temps depuis leur arrivée pour ressentir les effets de l’acclimatation. Cependant il s’est écoulé assez d’années pour détruire la prophétie du docteur Knox, lequel soutient que, si l’émigration européenne n’alimentait pas constamment les peuples de ce continent, ce dernier retournerait à l’homme rouge — le sauvage — à titre de propriétaire unique. »

Le fils d’un européen, s’il naît dans une colonie, est appelé créole. Les dictionnaires, les encyclopédies, les romans nous apprennent que les créoles sont faibles de corps, maigres, grêles, nerveux. Il y a même un mot, « créoliser », qui exprime l’inactivité, la nonchalance, la mollesse. Cela peut être vrai sous les tropiques, mais ce verbe n’a certainement jamais été conjugué au Canada.

Nous n’avons rien du type créole convenu, et voici pourquoi : Le globe se divise en plusieurs régions ou zones, que nous appellerons le grand nord, le petit nord, les pays tempérés, puis les contrées tropicales. Comment une règle uniforme s’appliquerait-elle aux habitants de lieux si divers ? Pourquoi donc mettre tous ensemble, dans un même moule, les peuples américains ? Nous différons autant les uns des autres, que les Italiens, les Allemands, les Anglais et les Russes entre eux. Ainsi, nous, créoles canadiens-français, nous sommes à cheval sur le petit nord et la région tempérée, site éminemment favorable à la constitution physique, tant de l’homme que de la bête. À deux degrés de nous, vers le pôle, il fait trop froid ; à trois degrés au sud, la température est accablante. Les créoles français des Antilles ne nous ressemblent pas plus qu’un Asiatique ne ressemble à un Normand.

Sous le ciel brûlant du tropique, les exhalaisons du sol, les pluies incessantes de l’hiver et mille causes particulières à ces climats abattent les forces de l’individu, le réduisent à l’état de « créole créolisant », et s’opposent en fin de compte au développement de la race.

Chez nous, l’hiver, qui nous impose le casque et les mitaines, accroît nos ressources physiques au lieu de les amoindrir.

Ces vérités, si simples, n’ont pas cours en Europe. À nous de les y répandre… mais, hélas ! notre presse n’atteint pas si loin.

Que n’a-t-on pas écrit à notre sujet ? Traités en Esquimaux par les uns, relégués dans la catégorie des sous-races par les autres, nous comparaissons fréquemment devant le tribunal d’une certaine science, qui rend ses arrêts d’après les cancans de voyageurs inventifs, ou sur des raisonnements que faussent les préjugés.

Celui-ci remarque que les Canadiens-français ont le teint basané, et en conclut qu’ils sont des métis ; cet autre est surpris de leur pâleur, mais il l’explique par l’usage des poêles de fonte, que, dit-il, nous chauffons à outrance.

En voici un troisième qui constate que notre nourriture se compose, presque exclusivement, de laitage et de légumes. Plus loin, on démontre qu’il n’en peut être autrement, vu le grand nombre de jeûnes que la religion catholique nous prescrit. Maigres, fluets, petits de