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apprendra si ces progrès trop hâtifs des premiers jours ne se payeront pas plus tard par une impuissance prématurée. C’est entre le travail et la gaîté que se poursuivait en Canada l’établissement de la colonie, et chacun était entretenu dans cette riante liberté d’esprit autant par son aisance que par la modestie de ses goûts… Le grand froid même de ces climats n’était point ce que l’imagination le fait, et nous devons signaler ici une des grandes erreurs dans lesquelles sont tombés la plupart de ceux qui se sont occupés de colonisation. Nous voulons parler de la préférence donnée généralement aux pays chauds sur les pays froids ; cette opinion provient peut-être des gens de bureau qui dirigent ces sortes d’affaires ; car les pays chauds sont plus agréables pour l’homme de loisir et pour celui qui ne se livre point à des occupations pénibles ; mais ils n’offrent au travailleur que des inconvénients : il y travaille moins et s’y fatigue plus vite ; il ne peut se défendre contre la chaleur, tandis que l’activité même de son labeur le met naturellement à l’abri du froid. D’autre part, les pays chauds sont généralement moins salubres que les pays froids ; la mort et la maladie y éclaircissent les rangs des colons ; enfin, considération capitale, la race européenne — et nous le prouvons par maints exemples — ne multiplie pas dans les pays chauds comme dans les pays froids ; il faut donc dans les premiers beaucoup plus d’émigrants et de frais pour arriver au même résultat de travail et de population. C’est pourquoi nous concluons que, pour toute colonie où l’on cherche à établir un supplément, une extension de la mère-patrie, les régions d’un froid modéré sont très supérieures aux pays qui séduisent d’abord par la douceur de leur climat, et entre les deux excès, le plus nuisible est celui du chaud. L’hiver du Canada ne fut donc jamais une difficulté majeure pour l’installation des colons : le bois abondait pour se faire de solides et chaudes demeures, et pour prodiguer dans l’âtre le feu gai et pétillant des veillées d’hiver ; une vie active et laborieuse faisait le reste. »

Le père Bressani assure qu’en seize ans qu’a subsisté la mission dans le pays des Hurons, il s’y est trouvé en même temps jusqu’à soixante Français, dont plusieurs étaient d’une complexion assez délicate ; que tous étaient fort mal nourris, et qu’ils avaient, d’ailleurs, à souffrir au-delà de ce qui se peut imaginer — et que personne n’y mourut.

Les étrangers se disent : « Il tombe chaque année, sur le sol du Canada, trois ou quatre pieds de neige ; l’hiver doit y être exécrable. » Renversons ce raisonnement de fantaisie. Apprenons aux Français qui grelottent chez eux de novembre à avril, et aux Anglais figés par les brumes et les « soupirs du vent », que l’hiver canadien ne nous a jamais fait regretter les oignons d’Égypte. Nous n’avons rien qui ressemble à l’état misérable des sauvages découverts par nos pères. Si le climat de ce pays est parfois rigoureux, nos habitations, notre nourriture, nos vêtements sont des préservatifs efficaces contre ses atteintes. Une foule de bienfaits découlent des changements radicaux de température par lesquels nous passons de janvier à juillet, bienfaits que les populations de l’Europe n’éprouvent point, malheureusement. Le soleil luit pour tout le monde, et ici plus que partout ailleurs, tant au réel qu’au figuré.

« C’est un fait bien remarquable, dit encore M. Rameau, que la race européenne devient