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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de la chair. Pour la boisson, il faut faire de la bière[1] ; mais nous attendrons encore que nous soyons bâtis, et qu’il y ait une brasserie dressée : ces trois articles sont assurés avec le temps. Pour les blés, on a douté si la terre, où nous sommes, n’estait point trop froide. Allons par ordre et voyons la nature du sol : voici deux ans que tout ce qui est du jardinage, qui ne lève que trop, a été mangé par la vermine, qui provient ou du voisinage des bois, ou de ce que la terre n’est pas bien encore exercée et purifiée ni aérée. Au milieu de l’été, la vermine meurt et nous avons de fort beaux jardinages. Pour les arbres fruitiers, je ne sais ce qui en sera. Nous avons deux allées, l’une de cent pieds et plus, l’autre plus grande, plantées de sauvageons de part et d’autre fort bien repris ; nous avons huit ou dix entes de pommiers ou poiriers qui sont aussi fort bien reprises : nous verrons comme cela réussira. J’ai quelque créance que le froid nuit grandement aux fruits ; dans quelques années nous en aurons l’expérience. On a vu ici autrefois des belles pommes[2]. Pour le blé-d’Inde, il mûrit bien l’an passé ; cette année il n’est pas beau. Pour les pois, je n’en ai point vu chez nous de beaux ; la terre pousse trop. Ils réussissent fort bien chez cette famille qui est en lieu haut et plus aéré[3]. Le seigle a réussi deux ans. Nous en avons semé pour en faire l’expérience ; il est fort beau. L’orge peut aussi réussir. Reste pour le froment : nous en avons semé à l’automne en divers temps ; il s’en est perdu en quelque endroit sous les neiges ; en un autre endroit, il s’est si bien conservé qu’on ne voit point en France de plus beau blé. Nous ne savons pas bien encore le temps qu’il faut prendre pour semer devant l’hiver ; la famille qui est ici a toujours semé du blé marsais, qui mûrit fort bien en sa terre. Nous en avons semé un peu cette année ; nous verrons s’il mûrira. Voilà les qualités du sol où nous sommes[4]. »

En lisant ces lettres qui parlent du climat et du sol de notre pays, ou qui donnent des conseils aux gens disposés à s’y établir, nous songeons involontairement aux brochures lancées depuis quelques années par les gouvernements du Canada pour attirer les émigrants dans nos anciennes paroisses ou les pousser vers le Manitoba et les territoires du Nord-Ouest. L’histoire se répète avec de légères variations dans la forme.

Les terres du cap Tourmente avaient de bonne heure attiré l’attention de Champlain ; on y élevait des bestiaux. Quelques personnes s’y établirent définitivement vers 1633[5]. Dans le cours de l’été de 1636, peu de semaines après la concession faite au sieur Cheffault, M. de Montmagny et le père Le Jeune, parcourant la côte de Beaupré, virent quelques familles françaises que les missionnaires visitaient déjà régulièrement plusieurs fois par année. « C’est avec bonne raison, remarque le père Le Jeune, qu’on a nommé les lieux voisins du cap Tourmente Beaupré, car les prairies y sont belles et grandes et bien unies. C’est un lieu très commode pour nourrir quantité de bétail. » Parlant de Beauport, il ajoute : « Vous me demandez si en défrichant les terres et les labourant elles produisent assez pour leurs

  1. La bière et le cidre, plus que le vin, étaient en usage dans le nord-ouest de la France, d’où sont sorties les familles canadiennes.
  2. Du temps de Louis Hébert.
  3. Guillaume Hubou et Guillaume Couillard cultivaient l’emplacement où est situé le séminaire.
  4. Premières missions des Jésuites au Canada, pp. 131, 144, 146-8.
  5. Ferland : Cours, ii, 7.