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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Nouvelle-France Dieu y soit honoré et servi, et que les hommes aient toujours de bons exemples devant les yeux, les révérends pères de la compagnie de Jésus ont tellement contribué à ce zèle et à cette affection que tous les jours ils exposent leurs personnes aux plus grands périls qui se puissent rencontrer parmi ces peuplades sauvages, pour les attirer à la connaissance de Dieu et à une vie plus civile, ce qui nous oblige d’autant plus à leur départir volontiers tout ce qui est au pouvoir de notre compagnie… à ces causes, et sur ce que l’on nous aurait fait entendre que les dits révérends pères désiraient avoir quelqu’une des isles qui sont dans le fleuve Saint-Laurent, pour y faire quelque nourriture de bestiaux pour l’entretien de leurs maisons et résidences… donnons l’isle appelée des Ruaux, située dans le fleuve Saint-Laurent, proche et au dessous de l’isle d’Orléans, en toute sa consistance et étendue, sans en rien retenir ni réserver[1]. »

Une seigneurie de trois quarts de lieue de front sur trois lieues de profondeur fut accordée, le 31 août 1638, à Jean Godefroy, sieur de Lintot ; elle est située presque en face de la ville des Trois-Rivières et coupée par les petits cours d’eau nommés Godefroy et Marguerie[2]. Très peu d’années après 1638, il y avait des cultures sur ces terres.

Batiscan fut donné aux jésuites « pour l’amour de Dieu, » le 13 mars 1639, par M. Jacques de la Ferté[3], abbé de Sainte-Madeleine de Chateaudun, au nom de la compagnie — deux lieues au fleuve sur vingt de profondeur. Cette seigneurie fut accordée comme fief absolu, avec le droit de haute, moyenne et basse justice, et sujette à la foi et hommage au sieur Jacques de la Ferté et ses hoirs — suivant la coutume des fiefs de la prévôté de Paris ; sujette aussi au paiement d’une croix d’argent de la valeur de soixante sols à l’expiration de tous les vingt ans au dit Jacques de la Ferté ou ses héritiers, depuis le temps que les terres seront cultivées ; les terres pour être possédées par les pères jésuites ou appliquées ou transportées aux sauvages ou autres devenant chrétiens, et en telles manières que les pères jugeront à propos, de telle sorte que les terres ne seront pas retirées de leurs mains tandis qu’ils jugeront à propos de les tenir et posséder[4]. Le droit de haute justice se rencontre parfois dans les actes de concession des quarante ou cinquante premières années de la colonie, mais il ne paraît avoir été exercé qu’une fois ou deux, et dans des cas où le crime était d’une évidence indéniable. L’acte de foi et hommage au sieur de la Ferté est digne de remarque : c’était à peu près le seul privilège que se fût réservé le roi en constituant les Cent-Associés.

De la concession des terres à la manière d’exploiter celles-ci, il n’y a qu’un pas, mais il est immense. Ce dut être un profond sujet d’étonnement que la vue de ces forêts compactes du Canada pour les défricheurs amenés par M. Giffard, les jésuites, MM. Le Neuf et Maisonneuve. Les arbres, serrés les uns contre les autres, présentent une palissade que le

  1. Titres seigneuriaux, p. 46.
  2. Bouchette : Dictionnaire, article « Godefroy. »
  3. Chanoine de la chapelle du roi, à Paris.
  4. Édits et Ordonnances, i, 104 ; Bouchette : Dictionnaire, article « Batiscan » ; A.-N. Morin : Notes sur les biens que les Jésuites possédaient en Canada, 1845, p. 2 ; Mémoire sur les biens des Jésuites en Canada, 1874, p. 58.