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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

des usurpateurs qui ne faisaient que passer, tandis que les Français demeuraient au pays d’une manière permanente, et qu’il était de l’intérêt de tous que leur ancienne amitié continuât toujours. Le chef algonquin répondit par une harangue aussi fine et délicate que pleine d’une mâle éloquence. « Tu ne veux pas, dit-il en finissant, que nous allions à l’Anglais ; je vais dire à mes gens qu’on n’y aille point ; si quelqu’un y va, il n’a pas d’esprit. Tu peux tout ; mets des chaloupes aux avenues, et prends les castors de ceux qui iront. » Afin d’ôter aux sauvages d’en haut la pensée de descendre au devant des Anglais, Champlain établit un nouveau poste sur l’îlet de Richelieu[1], qui commande un des passages où le chenal du fleuve est le plus étroit ; ce lieu avait en outre l’avantage d’être assez rapproché de Québec pour que l’on pût, au besoin, faire monter en quelques heures les marchandises et les objets nécessaires à la traite[2]. »

Un envoi de colons, le plus considérable que l’on eût formé jusque là, se préparait en France. Il était dû à l’initiative de ce médecin que nous avons vu campé à la Canardière, en 1627, et qui, l’année suivante, comme il revenait de France sur le navire du sieur de Roquemont, avait été capturé par Louis Kertk. Retourné en France, Robert Giffard y attendit des nouvelles du Canada. En 1633, il épousa Marie Renouard et fit ses préparatifs pour revoir Québec. Le 15 janvier 1634, la compagnie des Cent-Associés, ou plutôt M. de Lauson et la société des marchands, accordèrent le titre suivant :

« La compagnie de la Nouvelle-France, à tous présents et à venir, salut. — Le désir que nous avons d’avancer la colonie en la Nouvelle-France, suivant la volonté du roi, nous faisant recevoir ceux qui ont le moyen d’y contribuer de leur part et voulant distribuer les terres du dit pays à ceux qui participent avec nous en ce louable dessein et qui seront capables de les faire défricher et cultiver pour y attirer les Français par l’exemple desquels les peuples du dit pays qui ont vécu jusqu’à présent sans aucune police, pourront être instruits en la connaissance du vrai Dieu et nourris en l’obéissance du roi, après qu’il nous est apparu des bonnes intentions du sieur Robert Giffard, et de son zèle à la religion catholique, apostolique et romaine et au service du roi — à ces causes et en vertu du pouvoir à nous donné par Sa Majesté, avons au dit sieur Giffard donné et octroyé, donnons et octroyons, par ces présentes, l’étendue et circonstances des terres qui en suivent, c’est à dire, savoir : une lieue de terre à prendre le long de la côte du fleuve Saint-Laurent, sur une lieue et demie[3] de profondeur dans les terres, à l’endroit où la rivière appelée Notre-Dame de Beauport entre dans le dit fleuve, icelle rivière comprise, pour jouir des dits lieux par le dit sieur Giffard, ses successeurs ou ayants cause en toute justice, propriété et seigneurie à perpétuité, tout ainsi et pareil droit[4] qu’il a plu à Sa Majesté donner le pays de la Nouvelle-France à la dite compagnie, à la réserve, toutefois, de la foi et hommage, que le dit Giffard, ses successeurs ou

  1. Quelques lieues au dessus de Québec.
  2. M. l’abbé Laverdière : Biographie de Champlain.
  3. Portée à quatre lieues de profondeur en 1653.
  4. Aux mains de la compagnie ce droit était subordonné à l’obligation de sous-concéder ; la compagnie ne transférait au concessionnaire que les droits qu’elle possédait elle-même. Par conséquent, ni dans cet acte ni dans une foule d’autres semblables, on ne trouve que les terres aient été données aux seigneurs ; ceux-ci n’en ont jamais été les propriétaires absolus, comme on veut le faire croire à présent.