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printemps de 1629, quatre expéditions avaient été préparées pour le Canada : l’une commandée par le capitaine Joubert, une autre frêtée par les jésuites et conduisant les pères Lalemant, Noyrot et Vieuxpont, une troisième envoyée par les de Caen à leurs frais et commandée par Émeric, une quatrième, composée de cinq navires, sous les ordres du capitaine Charles Daniel, employé des Cent-Associés, qui devait ravitailler Québec. Mentionnons aussi celle que le commandeur Isaac de Razilli préparait à la Rochelle et qui, retardée jusqu’après le 24 avril, fut alors dirigée sur le Maroc ; ce changement de direction laissa le champ libre aux Kertk dans le Saint-Laurent, car Razilli avait pour but de se rendre à Québec[1].

De ces entreprises, une seule avait eu quelque succès, celle du capitaine Charles Daniel ; les autres ne servaient qu’à prouver la faiblesse de l’organisation des armateurs français. Le docteur André Daniel, frère du capitaine Charles, fut envoyé à Londres, auprès de M. Fontenay-Mareuil, le nouvel ambassadeur de France (hiver 1629-30), pour négocier la reddition du Canada ; mais la guerre qui retenait le roi et le cardinal dans le midi de la France détournait l’attention de dessus ces démarches. Les Cent-Associés, mis en pertes avant que d’avoir pour ainsi dire fait leur début, voulaient que Razilli allât reprendre Québec au printemps de 1630. Ce projet fut abandonné ; toutefois, on envoya deux navires en Acadie.

L’automne de 1630, on reçut des nouvelles de Québec par deux Français qui en revenaient, « l’un charpentier et l’autre laboureur, qui, de Londres, vinrent à Paris, lesquels nous dirent… qu’il était mort quarante Anglais de nonante[2] qu’ils étaient, de pauvreté et misère durant l’hiver, et autres qui avaient été assez malades, n’ayant fait bâtir ni défricher aucune terre… sinon ensemencer ce qui était labouré, tant la maison des pères jésuites que pères récollets, dans lesquelles maisons y avait dix hommes pour les conserver ; qu’au fort ils n’avaient fait qu’un parapel de planches sur le rempart et rempli deux plattes-formes que j’avais fait commencer. De bâtiments dedans, ils n’en avaient fait aucun, hormis une (construction) de charpente contre le rempart qu’en partie ils avaient défait du côté de la pointe aux Diamants, pour gagner de la place, et qu’elle n’était pas encore achevée ; que dans le fort y avait quatorze pièces de canons, avec cinq espoirs de fonte verte qu’ils nous avaient pris, et quelques pierriers, étant bien amunitionnés, et étaient restés quelques septante Anglais ; que le tonnerre avait tombé dans le fort et rompu une porte de la chambre des soldats, entré en icelle et meurtri trois ou quatre personnes, passé dessous une table, tué deux grands dogues qui étaient pour la garde, et s’en était allé par le tuyau de la cheminée qui en avait abattu une partie et ainsi se perdit en l’air. Dit que les ménages français qui restèrent ont été très mal traités de ceux qui se sont rendus aux Anglais, et principalement d’un appelé Le Bailly, duquel j’ai parlé ci-dessus. Pour ce qui est du capitaine Louis (Kertk) et des Anglais, ils n’en ont point été inquiétés. Rapporte qu’ils s’attendaient bien que, cette année, les vaisseaux du roi y dussent aller, avec commission du roi de la Grande-Bretagne,

  1. Harrisse : Bibliographie, 55.
  2. C’étaient donc quatre-vingt-dix Anglais qui entreprirent d’hiverner à Québec en 1629-30. Nous avons déjà constaté qu’il restait dans le pays trente-sept personnes de race française et catholiques.