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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

l’Afrique et du nouveau-monde. À ces raisons d’autres répondaient que le climat s’adoucirait à mesure que le pays se découvrirait ; qu’on en pouvait guère douter parce qu’il est situé sous les mêmes parallèles que les régions les plus tempérées de l’Europe ; que le climat en est sain, le terroir fertile ; qu’avec un travail modique, on peut s’y procurer toutes les commodités de la vie ; qu’il ne fallait pas juger de la France comme de l’Espagne et du Portugal, que les guerres des Maures et leur retraite avaient épuisés d’hommes avant que d’avoir découvert les deux Indes, et qui, malgré ces pertes, avaient entrepris de peupler des pays immenses ; qu’il ne fallait pas tomber dans les mêmes fautes, mais faire passer en Amérique, tous les ans, un petit nombre de familles, y envoyer des soldats réformés, avec des filles tirées des hôpitaux, et les placer de manière à ce qu’elles pussent s’étendre à mesure qu’elles se multiplieraient ; qu’on avait déjà l’expérience que les femmes françaises y sont fécondes, que les enfants s’y élèvent sans peine, qu’ils y deviennent robustes, bien faits et d’un très beau sang ; que la seule pêche des morues était capable d’enrichir le royaume, qu’elle ne demandait pas de grands frais, que c’est une excellente école pour former des matelots, mais que pour en retirer tout l’avantage qu’elle peut produire, il fallait la rendre sédentaire, c’est-à-dire y occuper les habitants mêmes de la colonie ; que les pelleteries pouvaient devenir aussi un objet considérable, si on avait attention à n’en pas épuiser la source en voulant s’enrichir tout d’un coup ; qu’on pouvait profiter pour la construction des vaisseaux, des forêts qui couvraient le pays et qui sont, sans contredit, les plus belles de l’univers ; enfin, que le seul motif d’empêcher les Anglais de se rendre trop puissants dans cette partie de l’Amérique en joignant les deux bords du fleuve Saint-Laurent à tant d’autres provinces où ils avaient déjà de bons établissements, était plus que suffisant pour nous engager à recouvrer Québec, à quelque prix que ce fût[1]. »

Ce passage de Charlevoix a été regardé comme un simple effort d’imagination, attendu que les témoignages authentiques démontrent l’intérêt que le cardinal de Richelieu et le conseil du roi manifestèrent, de 1629 à 1632, pour la reprise de Québec. Il nous paraît évident que les pièces de l’époque et les commentaires de l’historien sont, de deux manières qui semblent se contredire, l’exposé du débat et rien de plus. D’une part, la compagnie de la Nouvelle-France avait à cœur de se refaire de ses pertes d’argent ; Champlain appuyait dans ce sens afin de recouvrer sa colonie ; le ministre était comme engagé d’honneur à ne point céder aux Anglais. D’un autre côté, le sentiment dont Sully avait été l’expression en son temps existait toujours : et l’on discutait en France, l’année 1630, pour décider s’il fallait garder le Canada, tout ainsi que l’on parlait et écrivait en Angleterre, en 1875, pour savoir si la métropole devait soutenir ses établissements lointains ou les abandonner à eux-mêmes. Nous ne sommes donc point étonné de voir certaines oppositions faites aux tentatives de la cour et du commerce de France durant les années 1629-1632 dans la direction du Canada.

En attendant que la diplomatie eût réglé ces questions embrouillées par la guerre, ceux qui souffraient de l’état des affaires cherchaient à réédifier leur fortune. C’est ainsi que, au

  1. Charlevoix : Histoire de la Nouvelle-France, i, 173-74.