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l’Angleterre. On se rappelle que la reddition de Québec était survenue le 20 juillet, par conséquent trop tard pour qu’on pût la reconnaître. De Caen demandait que les Anglais lui rendissent les pelleteries qu’ils lui avaient enlevées, et Champlain réclamait sa colonie. Des complications se présentaient à la fois de plusieurs côtés. Par exemple, cette même année 1629, le capitaine Charles Daniel[1], de Dieppe, avait chassé les Anglais du cap Breton[2]. Certains armateurs écossais, mécontents des pertes qu’ils avaient subies, voulaient qu’on les en indemnisât. Les négociations traînaient en longueur. Champlain partit de Londres avec la permission de M. de Chateauneuf, l’ambassadeur, après avoir obtenu l’assurance que le fort et l’habitation de Québec seraient restitués par l’Angleterre.

Les choses ne devaient pas, cependant, marcher aussi vite qu’on l’espérait. Richelieu, créé premier ministre (1629), venait de tourner les armes vers l’extérieur : il affermissait le duc de Nevers dans les importantes positions de Mantoue et de Monferrat (1630), puis, absorbé par la politique intérieure du royaume, il triomphait de nouveau de ses ennemis à la journée des dupes (11 novembre 1630), et forçait Gaston d’Orléans et Marie de Médicis de quitter la France. Déjà, on peut le croire, le Canada ne comptait plus que pour une fraction dans les calculs du grand homme.

« On parut d’abord à la cour de France fort choqué de cette invasion des Anglais, après la conclusion d’un traité qui avait empêché qu’on ne s’y opposât ; mais les raisons d’honneur à part, bien des gens doutèrent si l’on avait fait une véritable perte, et s’il était à propos de demander la restitution de Québec. Ils représentaient que le climat y est trop dur ; que les avances excédaient le retour ; que le royaume ne pouvait pas s’engager à peupler un pays si vaste sans s’affaiblir beaucoup. D’ailleurs, disaient-ils, comment le peupler ? et de quelle utilité sera-t-il si on ne le peuple pas ? Les Indes orientales et le Brésil ont dépeuplé le Portugal ; l’Espagne voit plusieurs de ses provinces presque désertes depuis la conquête de l’Amérique. À la vérité, l’une et l’autre monarchie y ont gagné de quoi se dédommager de ces pertes, si la perte des hommes peut se compenser ; mais depuis cinquante ans que nous connaissons le Canada, qu’en avons-nous tiré ? Ce pays ne peut donc être d’aucune utilité pour nous, ou il faut convenir que les Français ne sont pas propres à ces sortes d’établissements ; jusqu’ici on s’en est bien passé, et les Espagnols voudraient peut-être avoir à recommencer. Qui ne sait que Charles V, avec tout ce que lui fournissaient d’or et d’argent le Pérou et le Mexique, n’a jamais pu entamer la France, et qu’il a souvent vu échouer ses entreprises faute d’avoir de quoi soudoyer ses troupes, tandis que François I, son rival, trouvait dans ses coffres de quoi se relever de ses pertes et tenir tête à un prince dont l’empire était plus vaste que celui des premiers Césars ? Faisons valoir la France ; conservons-y les hommes ; profitons des avantages qu’elle a pour le commerce ; mettons en œuvre l’industrie de ses habitans, et nous verrons entrer dans nos ports toutes les richesses de l’Asie, de

  1. Remarié en secondes noces (1632) avec Louise Duplix. Sa descendance existe encore près de Rouen. De 1624 à 1661, date de son décès, on le voit constamment dans les emplois de la marine. Il avait été anobli en 1648. (Julien Félix : Voyage du capitaine Daniel.)
  2. André de Malapart, Parisien, soldat et poète, a écrit une relation de cette campagne, qu’il adressa à M. Jean de Lauson et qui fut imprimée en 1630. En 1635, il était aux Trois-Rivières, et en 1639, commandait dans ce poste.