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germe des familles canadiennes ne mérite ni l’indifférence ni l’oubli des historiens, puisqu’il n’a point désespéré de la patrie nouvelle et s’y est développé contre toute attente. Cent trente et un ans plus tard (1760), les Canadiens se virent dans la même situation ; cette fois encore, ils eurent le courage de rester Canadiens. Telle est notre histoire : nous nous sommes ancrés dans le sol en dépit du va-et-vient des influences européennes. En 1629, sur moins de cent personnes qui se trouvaient dans la colonie, un tiers et davantage se composait d’habitants — et ceux-là demeurèrent fidèles au poste, sans craindre la mauvaise fortune.

D’autres Français, qui ne firent point souche dans le pays, continuèrent d’y résider sous les Kertk. Ce sont : Gros-Jean, de Dieppe, interprète des Algonquins, ami des Anglais ; Le Baillif, natif d’Amiens, arrivé en 1622 en qualité de sous-commis, et chassé par de Caen « pour être grandement vicieux » ; il se donna aux Kertk (1629), qui en firent leur commis et lui confièrent les clefs du magasin des Français, qu’il avait eu la précaution de se faire remettre afin de se venger de de Caen. On l’accuse d’avoir enlevé à Corneille, sous-commis, cent livres en or et en argent, outre certains effets ; c’est lui, dit-on, qui s’empara des vases sacrés de l’église de Québec. Les Anglais finirent par s’indigner de sa conduite scandaleuse. Par surcroît, Le Baillif maltraita tant qu’il le put les familles qui n’avaient point voulu repasser en France. Pierre Reye ou Raye, charron, natif de Paris, qualifié par Champlain de « renégat, perfide, traître et méchant », passa également au service de Kertk. Un nommé Jacques Couillard, sieur de l’Épinay, capturé par Thomas Kertk comme il arrivait de France, fut conduit à Québec ; il devait être parent de Guillaume Couillard, dont la descendance a porté le surnom de l’Épinay. Deux Français, l’un appelé Le Cocq, charpentier, et l’autre Froidemouche, envoyés de la Malbaie à Québec par Émeric[1] de Caen, se firent prendre par les Anglais de Québec, qui les gardèrent pour les faire travailler.

  1. Sur la fin de l’été 1629, il revenait de France lorsque son vaisseau fut enlevé par Thomas Kertk.