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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Talon et le ministère de Colbert. Un millier de colons débarqués et installés en 1630, suivis non pas même des quatre mille colons promis par la compagnie, mais seulement de quelques autres envois, auraient assuré à cette contrée un développement de population assez prompt et assez considérable pour lui permettre d’affronter sans péril les invasions qui entraînèrent sa perte au milieu du siècle suivant[1]. »

Les courageux pionniers de la Nouvelle-France, captifs sur des vaisseaux anglais, laissaient derrière eux trente années de travaux et leurs plus chères illusions. Moins d’un siècle après Jacques Cartier, la France subissait un cinquième échec plus humiliant que les quatre autres dans ses tentatives de colonisation sur le Saint-Laurent ; ce ne devait pas être le dernier. Quelle triste récompense, à soixante et quinze ans, pour Pontgravé[2], qui ne pouvait plus espérer le retour d’événements favorables à son ambition, et qui voyait se perdre d’un coup les fruits d’une longue carrière consacrée à la poursuite de l’idée française en Amérique ! Quelle déception pour Champlain, à soixante et deux ans, que de voir la persistante infortune encore attachée à son œuvre et l’anéantissant à peu près sans rémission ! Cinquante malheureux prisonniers ramenés sur la côte d’Europe par des navires anglais, représentaient les débris d’une avant-garde qui était allée se sacrifier au bénéfice de la France sur des plages lointaines, sans avoir été ni secourue ni même applaudie.

Des vingt habitants dont la présence est constatée de 1608 à 1628, cinq repassaient en France, mais devaient revenir : Samuel de Champlain, Olivier le Tardif, Thierry Desdames, Jean-Paul Godefroy et Robert Giffard. Hébert et Jonquest étaient décédés. Les treize qui restaient au Canada sont les suivants : Nicolas Marsolet, interprète, non encore marié ; Étienne Brulé, interprète, célibataire ; Guillaume Couillard, artisan et cultivateur ; Guillemette Hébert, sa femme ; enfants : Louise, Marguerite, Louis[3] ; Abraham Martin, pilote ; Marguerite Langlois, sa femme ; enfants : Anne, Eustache, Marguerite, Hélène ; Nicolas Pivert[4] ; Marguerite Lesage, sa femme ; une nièce et un jeune homme ; Pierre Desportes ; Françoise Langlois, sa femme, et leur fille Hélène ; Jacques Hertel, interprète, resté chez les sauvages, non encore marié ; Jean Nicolet, interprète, resté chez les Algonquins de l’Ottawa, non encore marié ; Adrien Duchesne, chirurgien ; sa femme, de nom inconnu ; Jean Godefroy, interprète, resté chez les sauvages, non encore marié ; Thomas Godefroy, interprète, célibataire ; Guillaume Hubou, cultivateur, marié à Marie Rollet, veuve de Louis Hébert ; enfant : Guillaume Hébert ; François Marguerie, interprète, resté chez les sauvages, non encore marié. En tout trente et une personnes.

Ceux qui restaient dans le pays constituaient précisément la partie stable de la population : les habitants. Il est donc faux de dire que le Canada fut alors abandonné ? Ce premier

  1. Rameau : La France aux Colonies, ii, 12.
  2. Sagard (Histoire du Canada, p. 947) raconte que, vers 1628, le jeune Pontgravé étant aux Moluques avec un navire chargé d’épiceries pour la France, fut invité par des Hollandais à prendre part à un festin, et que durant le repas il eut la douleur de voir que ces mêmes Hollandais faisaient brûler son vaisseau resté non loin de là. Frappé d’une trahison aussi noire et accablé par la pensée que sa ruine s’en suivrait, il entra dans un fervent esprit de pénitence, demanda pardon à Dieu de ses fautes et mourut presque aussitôt, le cœur brisé par le chagrin. « Il donnait de grandes espérances de sa personne, tant de sa valeur que de son bel esprit. »
  3. Elizabeth, baptisée 9 février 1631.
  4. Ramené à Québec même par les Anglais.