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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

David Kertk, protestants, natifs de Dieppe, mais entrés au service de l’Angleterre, conduisirent dans le Saint-Laurent dix-huit vaisseaux, pour se saisir de tout ce qu’y possédaient les Français. La ferme du cap Tourmente, où l’on employait neuf ou dix hommes, fut brûlée, avec quarante ou cinquante têtes de bétail renfermées dans les étables. Foucher, qui avait la surveillance de ce lieu, y fut fort maltraité ; Nicolas Pivert, Marguerite Lesage sa femme, sa nièce et un autre homme emmenés captifs. David Kertk envoya sommer Champlain de remettre le fort ; mais la courageuse réponse qu’il en reçut le détermina à attendre quelque temps. Peu après, Thierry Desdames, arrivant à Québec, malgré tous les obstacles, apporta une commission du roi pour Champlain, et annonça que le sieur de Roquemont s’avançait avec les premiers navires de la compagnie des Cent-Associés. Par malheur, Louis Kertk rejoignit Roquemont[1] dans le voisinage de Tadoussac, et, après une lutte acharnée, qui dura plus de quatorze heures, le captura. Néanmoins, Québec ne tomba point cette année au pouvoir de l’ennemi.

L’hiver de 1628-29 fut très dur à Québec. Mme Hébert avait quelques provisions qu’elle partagea avec les récollets. On comptait réunies soixante et seize personnes, dont vingt Français et un missionnaire revenus du pays des Hurons. Le printemps arrivé, tout le monde se jeta dans la forêt pour y chercher des racines. Champlain et les chefs de familles parlaient de se réfugier chez les sauvages. Pontgravé, souffrant de la goutte, songeait à partir pour Gaspé, mais il changea d’avis ; d’autres montèrent sur une chaloupe et se dirigèrent vers le golfe. Enfin, les Anglais reparurent, et, le 20 juillet 1629, Champlain se rendit à Louis Kertk. Pontgravé, retenu au lit, ne s’embarqua qu’après le départ de Champlain. La conquête, si conquête il y eût, ne fut pas une grosse affaire ; cependant, Kertk y gagna le titre de chevalier.

« Les habitants français devaient avoir chacun vingt écus, et le reste confisqué aux vainqueurs — de quoi on fit de grandes plaintes, s’en trouvant, dès lors, plusieurs (habitants) qui étaient fort riches. Ceux qui voulurent bien rester au pays obtinrent quelques avantages, surtout la famille de monsieur Hébert[2]. »

« La guerre de 1626 contre les calvinistes et les Anglais fut un des événements les plus funestes pour le Canada, en mettant à néant les desseins et entreprises de Richelieu sur l’Amérique. Souvent la destinée d’une nation tient à un événement misérable en apparence, mais gros de conséquences. C’eût été un grand point de gagné en effet si les premiers efforts de la compagnie Richelieu, vigoureusement poussés par l’énergique habileté du ministre, eussent pu arriver à bonne fin ; si tous ces convois avaient débarqué leurs colons et si l’établissement se fût trouvé à l’abri de tout trouble par la paix et une garnison suffisante ; le progrès de la colonie dirigé par un homme intelligent et dévoué comme Champlain, appuyé par le concours du cardinal, eût marché d’un pas rapide. Le Canada eût atteint dès lors le degré d’accroissement qu’il n’obtint que quarante ans plus tard, sous l’administration de M.

  1. À son bord était le sieur Le Faucheur, bourgeois de Paris, qui se rendait à Québec, avec sa famille, pour y résider.
  2. Le père Le Clercq : Premier Établissement, i, 408.