Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome II, 1882.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

était grand ami. Son gendre appelé Nepagabiscou était capitaine des sept autres barbares qui l’avaient accompagné à la guerre contre les Iroquois, d’où ils avaient amenés ces deux prisonniers, lesquels ils avaient surpris occupés à la pêche du castor, en une rivière de leur village ou bourgade. Ces pauvres esclaves, l’un âgé d’environ vingt-cinq ans, et l’autre de quinze à seize, étaient assis à plate terre, proche de ce capitaine Nepagabiscou, festinant en compagnie de plusieurs autres sauvages, d’une pleine chaudière de pois cuits et de la chair d’élan, avec la même gaîté et liberté que les autres, du moins en faisaient-ils le semblant pour n’être estimés poltrons ou avoir peur des tourments, desquels ils avaient déjà eu le premier appareil capable de pouvoir tirer des larmes de personnes moins constantes, car pour moindre mal, nous crions bien à l’aide. Le bon frère dit qu’on leur avait déjà arraché les ongles de tous les doigts des mains, puis brûlé le dessus avec de la cendre chaude, ordinairement mêlée de sable brûlant pour en étancher le sang. L’un d’eux avait été très bien battu par une femme montagnaise, qui lui mordit le bras dont elle mangea une grande pièce, disant que c’était une vengeance de la mort de son fils qui avait été pris et mangé en leur pays. Ils avaient aussi été très bien battus en les prenant et par les chemins, dont ils étaient presque tout brisés de coups, particulièrement le plus jeune, qui ne pouvait quasi marcher d’un coup de massue qu’il avait reçu sur les reins, sans que cela l’empêchât de la mine gaie et joyeuse, et de chanter avec son compagnon mille brocards et imprécations à l’encontre de Nepagabiscou et de toutes les nations montagnaises et algonquines, qui ne se fâchaient nullement d’entendre un si fâcheux ramage, telle étant leur coutume, qui serait méritoire si elle était observée pour Dieu ou à cause de Dieu, mais le malheur est qu’il n’y a rien que la seule vanité qui les porte d’être estimés inébranlables pour les injures et pleins de courage dans les tourments. Le festin étant fini, on les mena en une autre grande cabane, où quantité de jeunes filles et garçons se trouvèrent pour la danse, qu’ils firent à leur mode, dont les deux prisonniers étaient au milieu qui leur servaient de chantres, pendant que les autres dansaient autour d’eux, si échauffés qu’ils suaient de toutes parts. Les instruments musicaux étaient une grande écaille de tortue et une façon de tambour, de la grandeur d’un tambour de basque, dans lequel étaient des grains de blé-d’Inde ou petits cailloux pour faire plus de bruit. Il se trouva quelques petits garçons assis au milieu de la danse, auprès des prisonniers, qui frappaient avec de petits bâtons sur des écuelles d’écorce, à la cadence des autres instruments, pour servir de basses. La danse finie, l’on ramena les prisonniers dans la cabane de Nepagabiscou où était préparé le souper que Macabo son beau-père lui voulait faire pour son heureux retour. Le frère Gervais qui se trouva là présent, fut prié et ne s’en put excuser parce que ce bon Macabo l’aimait comme son petit-fils et ainsi l’appelait-il. Ce festin était composé d’un reste de chair d’élan de son hiver passé, moisie et sèche, qu’on mit dans la chaudière sans la laver ni nettoyer, avec des œufs de canards, si vieux et pourris que les petits y étaient tous formés, et partant fort mauvais. On y ajouta encore des poissons entiers sans être habillés, puis des pois, des prunes et du blé-d’Inde qu’on fit bouillir brouillés et remués tout ensemble avec une grand aviron. »