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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

débuts de la colonie : il s’est conduit d’après cette règle à travers les mille et une luttes des deux derniers siècles. Les Français, qui étaient envoyés de France pour gouverner arbitrairement le pays, se sont heurtés contre l’élément appelé canadien. Les Anglais, ensuite, en ont fait l’épreuve. Les uns et les autres y ont perdu leur latin ; on peut dire qu’ils s’y sont brisés. Depuis vingt-cinq ans, un groupe anglais se donne le nom de canadien. Progrès ! Jadis, un Canadien était une bête noire. Le cri de Canada first, qui passe pour nouveau dans les cercles anglais, est vieux comme la lune dans la province de Québec. Nos poètes ont chanté de tout temps :

« Avant tout, soyons Canadiens ! »

Au milieu de l’été de 1621, la situation était celle-ci : deux compagnies prétendues unies cherchaient à s’arracher le commerce ; ni l’une ni l’autre ne voulait ou contribuer à la conversion des Sauvages[1], ou aider à fonder une colonie agricole ; les de Caen, plus en faveur à la cour que leurs rivaux, étaient protestants[2]. Il n’était guère possible d’espérer qu’avec de semblables combinaisons, la Nouvelle-France pût entrer dans une voie favorable et se développer. Champlain partageait ces craintes, et c’est pourquoi il autorisa l’assemblée du 18 août, la première de ce genre qu’on eût vue dans le pays. Les habitants y décidèrent que le Père Le Baillif passerait en France, porteur d’un cahier exposant leurs griefs. Le procès-verbal[3] de la réunion est signé de : Champlain, Frère Denis Jamet, Frère Joseph Le Caron, Hébert, procureur du roi ; Gilbert Courseron, lieutenant du prévôt ; Boullé, Pierre Reye[4], Le Tardif[5], J. Le Groux, P. Desportes, Nicolas[6], greffier de la juridiction de Québec et greffier de l’assemblée ; Guers, commissionné de monseigneur le vice-roi et présent en cette élection.

Le Père Georges Le Baillif de la Haye était arrivé de France l’année précédente. Distingué par sa naissance, remarquable par son mérite personnel, possédant l’estime du roi, il avait été recommandé à Champlain par le duc de Montmorency, qui priait son lieutenant de ne rien entreprendre de considérable sans le concours de ce savant religieux. Pontgravé le prit sur son vaisseau, le 7 septembre, et, de retour à Paris, le Père exposa à Louis XIII la situation de Québec ; il s’en suivit un arrêt du conseil d’État amalgamant tout-à-fait les deux compagnies.

Parlant du cahier de plaintes mentionné ci-dessus, les écrivains protestants disent : « C’est dans ce singulier document que les Récollets demandent l’expulsion des protestants du Canada… Louis XIII refusa de s’associer à cet acte d’intolérance. » Nous ne voyons pas que la pièce dont il s’agit fût en aucune manière une chose insolite, étrange, singulière, encore moins un acte d’intolérance. Les habitants du Canada étaient parfaitement dans leur droit lorsqu’ils remontraient contre les abus dont eux-mêmes et toute la colonie étaient victimes.

  1. Les huguenots de la Rochelle parlaient contre les catholiques en présence des Sauvages. (Champlain, p. 986.)
  2. De Caen voulait obliger les catholiques d’assister aux prières des protestants. (Le Clerq : Premier Établissement, I, 333.
  3. Œuvres de Champlain, p. 1018.
  4. Il était venu de France en 1613. Charron de son état. Natif de Paris.
  5. Olivier Le Tardif, né 1601, de Honfleur, Normandie, était commis de la traite. Durant de longues années, nous le retrouverons parmi les habitants les plus respectables du pays.
  6. Est-ce Nicolas Marsolet ?