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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

qui restaient à courir, d’après les arrangements faits avec le prince de Condé. M. Dolu écrivait à Champlain que les nouveaux associés s’obligeaient à le regarder comme lieutenant du vice-roi et commandeur de toutes les habitations de la Nouvelle-France ; de nourrir six Pères Récollets ; nourrir et entretenir six familles de laboureurs, charpentiers et maçons, de deux ans en deux ans. « Sur les offres qui lui furent faites, l’ancienne compagnie consentit à renoncer aux dix mille francs d’indemnité qui lui avaient été accordés, et à prendre en retour cinq-douzièmes de la compagnie de Montmorency. Un des cinq-douzièmes fut réservé au sieur de Monts, qui vivait alors retiré à son château d’Ardennes, dans la Saintonge[1]. »

Ces nouvelles déconcertèrent quelques employés de l’ancienne compagnie demeurés à Québec, et comme il fallait attendre, selon les instructions reçues, que le sieur de Caen fût arrivé avant que de ne rien changer à la situation des affaires, les mécontents profitèrent du retour de Pontgravé et de plusieurs des anciens commis pour prendre une attitude hostile. Le capitaine Dumais, arrivant aussi de France, porteur d’une lettre du duc de Montmorency, voulut traiter de ses marchandises ; mais Champlain s’y opposa, disant que la règle s’appliquait à tout le monde. « Le petit fort que Champlain venait de commencer et qu’il se hâta de terminer de son mieux, fut, en ce moment, le salut de la patrie. Il y mit Dumais et son beau-frère avec seize hommes, et y jeta les armes et provisions nécessaires. « En cette façon, dit-il, nous pouvions parler à cheval. » Lui-même se chargea de la garde de l’habitation[2]. »

Guillaume de Caen, son neveu Émeric de Caen et le sieur Guers, se montrèrent enfin, porteurs de pouvoirs étendus. Dès son arrivée sur le fleuve, Guillaume de Caen eut connaissance d’une copie d’un arrêt du parlement en faveur de l’ancienne compagnie. Cette pièce était adressée à Pontgravé ; il en résulta du mécontentement. Une copie semblable avait été signifiée à de Caen lui-même, à Dieppe, et il n’en avait tenu aucun compte. Pontgravé, au contraire, prétendait s’appuyer sur l’arrêt en question pour agir à sa guise. De Caen fit saisir son vaisseau. Ceci se passait à Tadoussac. Champlain envoya, de Québec, le Père le Baillif et le sieur Guers[3], qui parvinrent à rétablir la concorde entre les deux camps. De Caen monta aussitôt à Québec, où il aida Champlain à améliorer l’habitation. Le 18 août, étant de retour à Québec, le sieur Guers fit l’inventaire des armes du poste, au nom du duc de Montmorency. Champlain[4] était revenu la veille de Tadoussac. On avait reçu des nouvelles de France qui renforçaient la main des sieurs de Caen. L’opposition des commis cessa de se faire sentir, du moins ouvertement. Champlain triomphait, mais était-il dupe des promesses de la nouvelle compagnie ? Entre Pontgravé et de Caen, c’était jeu d’intérêts pécuniaires. Et encore, s’il eût eu le choix entre les deux, Champlain eût préféré son vieux compagnon au calviniste de Caen. Les circonstances lui dictaient sa ligne de conduite.

À travers ces démêlés, se formait un troisième parti : celui des Canadiens. Nous employons le mot avec intention. Les « habitants, » si peu nombreux qu’ils fussent, ne

  1. Ferland : Cours, I, p. 201.
  2. Laverdière : Biographie de Champlain, p. 122.
  3. Il revenait des Trois-Rivières où il avait été surveiller la traite qui se faisait sous la direction de Pontgravé et des commis.
  4. Parti de Québec le 31 juillet. Dumay le remplaça au fort Saint-Louis durant ces dix-huit jours.