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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Dans une situation aussi précaire, les habitants ne voulurent ni se disperser ni retourner en France. Tenaces comme tous les Normands, ils plongèrent des racines dans le sol, et s’y maintinrent. Braves comme la race dont ils descendaient, on les vit soutenir des combats journaliers contre les bandes iroquoises, et créer cette légende qui semble plutôt tirée de l’imagination des poètes que de la vie réelle : le laboureur, une main à la charrue et l’autre portant ses armes. Les femmes et les enfants, si paisibles et si doux dans les campagnes de la France, se transformaient au Canada ; le cri de guerre du sauvage leur allumait les veines. Il n’était point rare de voir les défricheurs secourus par leurs épouses, leurs filles et leurs jeunes garçons lorsqu’une surprise de ce genre avait lieu. Les Canadiens d’aujourd’hui se figurent difficilement l’existence que menaient leurs ancêtres au milieu des embûches des ennemis, et celui qui parcourt nos riches et belles paroisses ne songe pas « que près de la borne où chaque terre commence, aucun épis n’est pur de sang humain. »

S’il est dans le nombre des colonies, petites et grandes, que l’Europe a éparpillées sur la surface du globe, un groupe d’hommes méritant le respect et l’admiration de l’Histoire, c’est assurément celui dont nous avons entrepris l’étude. Aussi est-il bon de relever avec soin, de page en page, ce qui touche à chacun de ces premiers Canadiens ; car ils méritent tous les honneurs que l’on décerne aux pères d’une nation — et, plus heureux que les Romains, nous avons gardé, outre les noms des Romulus et des Remus du Canada, le nom, le souvenir respecté et la descendance directe des fondateurs de notre patrie.