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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Nouvelle-Angleterre, où l’on voyait se réfugier une foule de gens sortis des villes de la vieille Angleterre à la suite de dissensions religieuses ou politiques, et incapables de se maintenir par le travail de l’agriculture, sans compter que la plupart n’étaient plus d’un âge à fonder des familles.

Le privilège de la traite dont jouissaient les Cent-Associés augmentait le malaise des habitants. Et puis, les jésuites n’étaient point des curés ; ils en étaient encore à croire que les sauvages se convertiraient : en attendant, les laboureurs français restaient isolés sur leurs terres. Le sentiment de la patrie nouvelle naquit chez ces hommes de la nécessité où ils se virent de faire la lutte à leur corps défendant : notre histoire est toute entière dans ces quelques mots, et c’est pourquoi nous appelons ce livre l’histoire des Canadiens-français.

Les Iroquois de Paris donnaient à la reine régente autant et plus d’inquiétude que ceux du Canada. Un auteur de cette époque, Jean Douchet, sieur de Romp-Croissant, a écrit le tableau des misères et des crimes de la grande ville. Écoutons-le un instant : « J’ai horreur quand il me revient en mémoire ce que plusieurs personnes dignes de foi m’ont dit pour chose véritable, savoir : qu’il a été tué de nuit, dans les rues de cette ville de Paris, trois cent soixante et douze hommes en trois mois, d’entre la Saint-Rémy dernier et les Rois ensuivant, de cette présente année 1644 ; et qu’il y en a eu quatorze de tués le dit jour des Rois. » Romp-Croissant évalue à huit cents le nombre d’individus qu’on aurait trouvés assassinés dans les rues de Paris, depuis la mort de Louis XIII (1642) jusqu’à l’époque (1644) où il écrivait[1].

L’Histoire, souvent pompeuse et fausse, se plait à raconter les exploits militaires du prince de Condé durant les vingt-quatre mois de 1644-1645. Ce sont les batailles de Gravelines, Rotwille, Fribourg, Spire, Philisburg, Mayence, Berghen, Creutznach, Landau, Roses, Florens, Nordlingen, la Mora, le passage du Rhin et la prise de plusieurs villes. Les massacres à la frontière, avec force panaches et drapeaux déployés, éclipsaient les meurtres de la capitale. Les lauriers stériles de Condé ne rachètent point les souffrances d’un royaume tombé dans l’anarchie. Les pauvres bourgeois de Paris, et les colons du Canada, assassinés par les Iroquois, brûlés à petit feu, soumis aux tourments inventés par un art infernal, sont oubliés sitôt que les noms de Fribourg, Mayence, etc., viennent se placer dans le récit de ces temps d’oppression.

L’automne de 1644, Pierre Le Gardeur[2] de Repentigny et Jean-Paul Godefroy partirent pour la France, avec mission de représenter les désirs et les intérêts des habitants ; car c’est ainsi que l’on désignait ordinairement les censitaires et les personnes établies dans le Canada à poste fixe. Leur démarche pour obtenir des récollets ne réussit pas, mais ils furent plus heureux du côté du monopole de la traite, qu’on les avait chargés de détruire ou de mitiger. En voici la preuve : c’est un arrêté en date du 6 mars 1645 :

  1. Le Magasin pittoresque, 1871, p. 327.
  2. « Ce gentilhomme a laissé sa probité, sa générosité et sa libéralité héréditaire à sa famille, » écrivait, quarante ans plus tard, le père Le Clercq (Premier Établissement, I, 490-97).