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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

immense sur sa tribu, qui s’empressa d’imiter son exemple. Les Hurons le citaient comme le premier guerrier du Canada, mais Piescaret balançait sa gloire. Tous deux étaient aussi vaillants et devaient leur prestige à des prouesses personnelles, ce qui s’explique fort bien chez des nations où l’on faisait la guerre sans ordre, par petites bandes, ou plutôt chacun pour soi. Les capitaines iroquois, au contraire, pouvaient briller par leur vaillance et par leurs conseils, puisque leurs guerriers se soumettaient à une règle qui, sans être toujours suivie, avait du moins l’avantage de se faire sentir à certaines heures critiques. L’été de 1641, Ahatsistari se voyant en face d’une flotille iroquoise, sur le lac Ontario, ne voulut pas s’enfuir comme ses compagnons, mais ramena ceux-ci, et, tous ensemble, fondirent sur l’ennemi, stupéfait de tant d’audace, car ils étaient en petit nombre. Ahatsistari sautait d’un canot à l’autre, le faisait chavirer, menaçant de son casse-tête tout ce qui se présentait, et finit par mettre la plupart des Iroquois hors de leurs canots. Alors, nageant d’une main, il allait de l’un à l’autre, et le terrible casse-tête faisait son œuvre. Quand il eut terminé cette besogne, il monta dans son canot, poursuivit ceux qui s’étaient échappés et les fit prisonniers. En un mot, dit la Relation, la vie de cet homme n’est qu’une suite de combats, et depuis son enfance, ses pensées n’ont été qu’à la guerre.

M. de Montmagny, revenant de Montréal à la fin de mai ou au commencement de juin 1642, se voyait en face d’une situation difficile et même périlleuse. Il fallait occuper le lac Saint-Pierre, ou tout au moins l’entrée de la rivière des Iroquois. La force armée de la colonie, en y comprenant les habitants, ne dépassait pas cent hommes : c’est l’origine de nos fameuses milices.

La traite des pays d’en haut se termina cette année aux Trois-Rivières à la fin de juillet. Le 2 août, douze canots de Hurons se mirent en route avec le père Jogues, l’interprète Guillaume Couture et un jeune chirurgien, René Goupil[1] — en tout quarante personnes sous les ordres d’Ahatsistari. Le gouverneur-général, qui arrivait de Québec amenant une barque et des ouvriers ainsi que des soldats pour construire un fort au lac Saint-Pierre, et que le vent retenait aux Trois-Rivières, leur demandait de l’attendre ; mais ils n’écoutèrent que leur désir de se mettre en route. Parvenus aux îles du lac, ils eurent connaissance des Iroquois ; une lutte s’engagea ; Ahatsistari et les trois Français furent pris ; le reste s’enfuit. Cette nouvelle, apportée aux Trois-Rivières au moment où M. de Montmagny se disposait à lever l’ancre, sema la consternation dans la place.

Le mercredi 13 août, l’expédition du gouverneur s’arrêtait devant le lieu où est aujourd’hui la ville de Sorel, et l’on commençait les travaux d’un fort qui prit le nom de Richelieu en l’honneur du cardinal. Les Iroquois voulurent inquiéter les ouvriers (le 20), mais on les reçut si chaudement qu’ils se retirèrent. Il paraîtrait qu’ils ne savaient encore rien de l’établissement de Montréal.

  1. Il fut assommé à coup de hache dans un village iroquois.