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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

seigneur de Sainte-Foye ; ce dernier le questionna sur son entreprise, et fut si content des réponses qu’il en reçut, qu’il le pressa de l’admettre au nombre des associés, disant qu’il travaillerait de sa personne et donnerait ses deux résidences, y compris les meubles et les bestiaux qui s’y trouvaient. « Venez ici avec tout votre monde, lui dit-il, vous y passerez l’hiver ; comme Sainte-Foye est un lieu abondant en chênes, vous y ferez construire des barques, tandis que, à Puyseaux, on préparera la menuiserie de vos bâtiments de Montréal. » C’était un cadeau de cent mille francs[1]. La maison de Sainte-Foye fut donc livrée au chirurgien[2] et aux charpentiers ; celle de Saint-Michel à M. de Maisonneuve et à mademoiselle Mance, qui y trouvèrent madame de la Peltrie. M. de Puyseaux ne se réserva strictement qu’une chambre pour lui-même. La plupart des employés se logèrent à Sillery. Nous avons les noms de six de ces hommes : Antoine Damiens déjà nommé, natif de Saens-Ville, près de Rouen ; Jean Gorry, également nommé plus haut, natif de la baie du Pontaven, en basse. Bretagne ; Jean Caillot[3], de Lyon ; Pierre Laimery ou Emery, du Havre-de-Grâce ; François Robelin, de Paris, et Augustin Hébert, natif de Caen, Normandie, qui se maria, vers 1646, avec Adriane Duvivier. Sa descendance est nombreuse dans le district de Montréal.

Deux barques, une pinasse et une gabare, portant la colonie de Montréal, partirent de l’anse Saint-Michel le 8 mai 1642, avec MM. de Montmagny et de Puyseaux, le père Vimont et madame de la Peltrie, avec Charlotte Barré, sa demoiselle de compagnie. Le 18, de grand matin, ayant mis le pied sur le rivage de la nouvelle patrie, les ouvriers assistèrent à la messe, puis, sans perdre un instant, construisirent un retranchement de pieux à l’endroit même où Champlain, trente et un ans auparavant, songeait à fonder un poste stable[4]. M. de Montmagny retourna à Québec lorsqu’il eut vu les colons en sûreté dans le fort[5].

C’est le moment de parler de la situation du Canada ; car nous entrons dans cette longue série de guerres contre les Iroquois (1640-1665) justement appelée « les temps héroïques » à cause du courage dont nos pères donnèrent tant de preuves, malgré l’inertie et le mauvais vouloir des autorités françaises.

Au printemps de 1640, quelques maraudeurs avaient été signalés aux environs du lac Saint-Pierre. L’automne suivant, près de cent Agniers se répandirent dans le voisinage des Trois-Rivières, et, avec une persévérance extraordinaire en cette saison, tinrent la campagne jusqu’au temps des hautes neiges, enlevant, de ci, de là, quelques Algonquins et inquiétant les chasseurs jusque dans le fond des bois où ils s’enfonçaient à la recherche des orignaux. Vers la fin de février 1641, Thomas Godefroy de Normanville et François Marguerie tombèrent entre leurs mains. Ce coup suffisait à l’ambition des barbares, et ils se retirèrent. Politiques adroits, leur plan consistait à se procurer des otages, afin d’obtenir en échange des

  1. La valeur du franc, à cette époque, était celle de notre piastre actuelle.
  2. M. de Courpon, amiral de la flotte du Canada, se trouvant à Tadoussac lorsque M. de Maisonneuve y passa (août 1641), lui avait donné son propre chirurgien. En 1642-4, Courpon était encore amiral de la flotte.
  3. Il était à Montréal en 1643.
  4. Voir le présent ouvrage, tome I, pp. 101, 104.
  5. Dollier de Casson : Histoire du Montréal, 33-40, 228-9 ; Faillon : Histoire de la colonie, I, 425-35, 439, 443 ; Relation, 1642, p. 37 ; Ferland : Cours d’histoire, I, 313-4 ; Ferland : Notes, 24-5.