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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

terrains, à titre de tenure seigneuriale, à ceux qui, par leur fortune et leur situation, paraissaient en état de créer eux-mêmes des centres de population. Ce dernier mode de concession fut celui qui prévalut à la longue et pendant toute la domination française ; la colonisation s’opéra par l’intermédiaire des concessions seigneuriales, au moins dans la contrée qui forme aujourd’hui le Bas-Canada[1]. »

« Dans le système de tenure introduit en Canada, et emprunté à la féodalité, le roi était le seigneur suzerain de qui relevaient toutes les terres accordées à titre de franc-alleu, fief et seigneurie. À chaque mutation à laquelle la vente ou la donation donnait lieu, le seigneur suzerain avait droit au quint, qui était le cinquième de la valeur du fief ; l’acquéreur jouissait de la remise d’un tiers s’il payait comptant. Lorsque le fief passait aux mains d’un héritier collatéral, cet héritier était soumis au droit de relief, c’est-à-dire au payement de la valeur d’une année de revenu ; il n’était rien dû si le fief descendait en ligne directe… Il n’y eut que deux fiefs en franc-alleu en Canada : Charlesbourg et les Trois-Rivières[2]. » Une terre en franc-alleu ne relève d’aucun seigneur.

« Les seigneuries furent généralement divisées en fermes de quatre-vingt-dix arpents, qui se concédaient à raison de un à deux sols de rente par arpent, plus un demi-minot de blé pour la concession entière ; mais les cens et rentes n’ont jamais été fixées par les lois. Le censitaire s’engageait à faire moudre son grain au moulin du seigneur, en donnant la quatorzième partie de la farine pour droit de mouture ; pour droit de lods et ventes, le douzième du prix de la terre. Il n’était point dû de lods et ventes pour les héritages en ligne directe. Bientôt, la loi ne considéra plus le seigneur que comme une espèce de fidéicommissaire ; car, s’il refusait de concéder des terres aux colons à des taux fixes, l’intendant était autorisé à le faire pour lui. Après la conquête, nos tribunaux s’écartèrent de cette sage jurisprudence ; chose singulière, à mesure que nos institutions devenaient plus libérales, les cours de justice devenaient plus rigoureuses à l’égard des concessionnaires, qu’elles laissaient exposés, sans protection, à la rapacité des seigneurs. Déjà, en 1673, Frontenac écrivait que « le roi entendait qu’on ne regardât plus les seigneurs que comme des engagistes et des seigneurs utiles[3]. »

« Le pays était divisé suivant la configuration du sol, et découpé en circonscriptions. Ces parties de territoire étaient attribuées à titre seigneurial, à charge pour le seigneur de peupler son domaine. Le seigneur s’installait dans sa terre, et faisait des concessions moyennant une rente perpétuelle de un sou et deux sous par arpent superficiel. Le profit était mince, mais il venait s’y joindre une part sur les lods et ventes, ainsi que les droits de mouture, c’est-à-dire sur quiconque avait un moulin et du blé moulu. Telle était l’institution seigneuriale ; elle offrait plus d’avantages que les nouveaux systèmes. Le concessionnaire n’avait pas à faire de déboursés. Le seigneur ne pouvait se faire spéculateur de terrains ; la coutume de rentes fixes le forçait à concéder toutes les terres au même prix. Ces conditions aidaient les familles

  1. Rameau : La France aux colonies, II, 14.
  2. Garneau : Histoire du Canada, I, 173.
  3. Garneau : Histoire du Canada, I, 172.