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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

et de défendre sa personne et ses biens, à condition que, de son côté, il le protégerait, le défendrait, et ne lui « dénierait jamais justice. »

« Avant le règne de Louis le Jeune (1137), il n’y avait d’hommes libres en France que les gens d’église et d’épée ; les autres habitants des villes, bourgades et villages étaient plus ou moins esclaves.

« Parmi les gens non libres, les uns étaient serfs et les autres n’étaient qu’hommes-de-poëte.

« Les serfs étaient attachés à la glèbe, c’est-à-dire à l’héritage. On les vendait avec le fonds : ils ne pouvaient s’établir ailleurs. Ils ne pouvaient ni se marier ni changer de profession, sans la participation du seigneur : ce qu’ils gagnaient était pour lui ; et, s’il souffrait qu’ils cultivassent quelques terres à leur profit, ce n’était qu’à condition qu’ils payeraient, par mois ou par an, la somme dont ils convenaient pour eux, leurs femmes et leurs enfants.

« Il s’en fallait de beaucoup que les hommes-de-poëte dépendissent autant du seigneur. Celui-ci ne pouvait disposer ni de leur vie ni de leurs biens ; leur servitude était bornée à lui payer certains droits, et à faire pour lui des corvées.

« On pourra juger de l’état des serfs en France par cette charte :

« Qu’il soit notoire à tous ceux qui ces présentes verront, que nous, Guillaume, évêque indigne de Paris, consentons que Odeline, fille de Padulphe Gaudin, du village de Cérès, femme de corps de notre Église, épouse Bertrand, fils du défunt Hugon, du village de Verrière, homme de corps de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés ; à condition que les enfants qui naîtront du dit mariage seront partagés entre nous et la dite abbaye ; et que, si la dite Odeline vient à mourir sans enfants, tous ses biens mobiliers et immobiliers nous reviendront ; de même que tous les biens mobiliers et immobiliers du dit Bertrand retourneront à la dite abbaye, s’il meurt sans enfants. Donné l’an douze cent quarante-deux. »

« Comme, parmi les enfants, il y en a de mieux constitués, de mieux faits ou qui ont plus d’esprit les uns que les autres, les seigneurs les tiraient au sort. S’il n’y avait qu’un enfant, il était à la mère, et par conséquent à son seigneur ; s’il y en avait trois, elle en avait deux ; et s’il y en avait cinq, elle en avait trois.

« Les hommes de corps et les gens de poëte formaient les cinq-sixièmes des habitants du royaume. Les serfs d’une même terre, obligés de se marier entre eux, devaient être plus portés à se soulager pendant leurs maladies et pendant les infirmités de la vieillesse. Ne pouvant point sortir de la terre qu’ils habitaient, on ne voyait presque pas alors en France de vagabonds ni de fainéants ; d’ailleurs, ils étaient excités au travail par le désir d’augmenter leur pécule (c’est-à-dire le bien qu’ils acquéraient par leur industrie particulière et dont ils pouvaient disposer), et par l’espérance de pouvoir un jour s’affranchir. Les hommes libres, les affranchis et les serfs qui demeuraient dans les villes cultivaient les arts, les sciences, faisaient le commerce ou travaillaient aux manufactures.

« Nous avons dit que les seigneurs pouvaient donner, vendre, échanger leurs serfs ; en voici deux exemples :