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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

avec la Mère de l’Incarnation, religieuse ursuline de Tours, disposée à partir pour le Canada et déjà préparée à ce voyage depuis plus d’un an.

La mère Marie de l’Incarnation, née à Tours, le 18 octobre 1599, était fille de Laurent Guyard, marchand de soieries, et de mademoiselle Babou de la Bourdaisière, d’une famille distinguée. L’aïeul de Laurent Guyard avait été chargé par Louis XI d’aller en Italie chercher saint François de Paule, le solitaire de la Calabre, et de le conduire au château de Plessis-les-Tours (1485). À dix-sept ans, Marie avait épousé un fabricant de soieries du nom de Martin, et elle en eut un fils, Claude, qui entra en religion. Devenue veuve, sa grande piété lui inspira le désir de passer le reste de sa vie dans le cloître. Elle se présenta au monastère des ursulines de Tours (1631) et y fut admise. Comme la duchesse d’Aiguillon et madame de la Peltrie, son cœur se prononça pour la Nouvelle-France à la lecture des Relations des pères jésuites. Nous connaissons tous ses écrits admirables qui ont fait dire à Bossuet : « C’est la Thérèse du Nouveau-Monde. »

Les pères Charles Lalemant et Le Baillif de la Haye, M. Jean de Lauson, le commandeur de Sillery et M. Fouquet[1], conseiller d’État, prêtèrent leur concours. À la mère de l’Incarnation se joignit une religieuse de mérite, la mère de Saint-Bernard, et une jeune fille, Charlotte Barré, qui fit plus tard profession. Madame de la Peltrie, les deux ursulines et la novice partirent de Tours le 22 février 1639, se rendirent à Paris, où devaient se compléter les préparatifs du voyage, furent reçues par la reine Anne d’Autriche, visitèrent Louis XIV au berceau, et de là, accompagnées de M. de Bernières qui les escortait depuis Tours, se dirigèrent sur Dieppe, le lieu de l’embarquement. On leur adjoignit dans cette ville la mère Cécile de la Croix.

Madame de Montigny, femme du gouverneur de Dieppe, prit soin des ursulines et de leur protectrice. La reine Anne d’Autriche et la duchesse d’Aiguillon[2] écrivirent de Paris des lettres d’adieu et d’encouragement aux hospitalières.

Le Saint-Joseph, commandé par le capitaine Bontemps, contremaître Jacques Vastel, mit à la voile, du port de Dieppe, le 4 mai 1639. Les pères jésuites Barthélemi Vimont, nommé supérieur au Canada à la place du père Le Jeune ; Joseph Poncet de la Rivière et Pierre-Joseph-Marie Chaumonot firent la traversée en compagnie des religieuses. Les pères Jacques Burgum, Charles Lalemant et un frère devaient s’embarquer sur un autre navire de la flotte du Canada.

Voici les noms des religieuses : — Hospitalières : 1o mère Marie Guenet de Saint-Ignace, élue supérieure le 2 février ; 2o mère Anne Le Cointre de Saint-Bernard, âgée de vingt-huit ans ; 3o mère Anne Forestier de Saint-Bonaventure de Jésus, âgée de vingt-deux ans. Ursulines : 1o madame de la Peltrie, fondatrice, âgée de trente-six ans. Elle ne fit jamais de vœux. Après trente-deux ans passés dans la Nouvelle-France, elle mourut à Québec, le 18 novembre 1671 ; 2o la mère Marie de l’Incarnation, âgée de près de quarante ans. Elle

  1. Probablement le fameux Nicolas Fouquet, alors maître des requêtes, et plus tard surintendant des finances.
  2. Elle mourut le 17 avril 1675. Son oraison funèbre fut prononcée par Fléchier.