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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

venir en Amérique. Il ne faut pas non plus poser en principe que leur présence sur ce continent est un fait inouï, dont l’explication dépasse la portée de l’entendement humain.

Les deux sources déjà mentionnées ont pu fournir leurs contingents pour les races sauvages, comme elles ont fourni les éléments des nations civilisées du Pérou et du Mexique.

De tous temps ce contraste a existé sur la terre. On a vu des Sauvages non loin des cités de Jérusalem, de Babylone, de Troie ; on en a vu près de la Grèce artistique, non loin de Rome conquérante ; bref, il suffit de lire l’Histoire pour apprendre à ne pas s’étonner de ces choses si souvent les mêmes.

Cinquante émigrations peuvent avoir peuplé l’Amérique de Sauvages. Çà et là, une catastrophe, un besoin de déplacement y ont amené des colonies plus fortes les unes que les autres. Une grande crise n’est pas étrangère à ces mouvements habituels des flots de l’humanité.

Une date se présente : la destruction de l’empire romain, il y a quatorze siècles. Le coup est parti des hauteurs qui confinent l’Europe à l’Asie. Un débordement de hordes féroces et incultes s’est abattu sur l’univers éclairé par la civilisation. Non-seulement Rome et la Grèce ont été dévastées, éteignant ainsi le flambeau des arts, des sciences et des lettres, mais un ébranlement se fit sentir par toute l’Asie, qui trembla sous les pas des barbares. Ne peut-on pas supposer que des races alarmées ont cherché refuge en Amérique par le détroit de Behring ? La route devait leur en être connue. Qui sait encore si des peuplades considérables n’étaient pas déjà rendues à la Colombie anglaise, la Californie, les plaines de l’Ouest ? On s’accorde à reconnaître chez les Sioux et les Iroquois les traits de la race tartare. Il n’y a pas plus de deux cents ans, un missionnaire du Canada retrouva en Tartarie une Sauvagesse qu’il avait baptisée à Montréal. Elle lui dit que ses parents l’avaient amenée par le détroit de Behring, selon l’itinéraire habituel de ces familles nomades.

Quant au mouvement d’émigration de l’est à l’ouest, à travers l’Atlantique, on le croirait moins facile à cause de l’immensité de cet océan. C’est l’effet trompeur d’un premier coup d’œil. L’histoire nous affirme que, depuis des siècles, les pêcheurs de l’Europe fréquentent les côtes de l’Amérique. En voilà assez pour donner naissance à vingt peuplades diverses, illettrées, se refaisant une langue à mesure que la leur se corrompait et que des besoins nouveaux se présentaient. Puisque des langues si différentes les unes des autres ont pu se former en Asie et en Europe, parmi des races qui se trouvaient en contact, à plus forte raison des groupes isolés comme l’étaient inévitablement, à l’origine, ceux des Sauvages américains se sont-ils fait chacun les créateurs d’une langue particulière, opération lente si l’on veut, mais qui n’est pas en désaccord avec ce que l’on connaît du reste de la famille humaine par tout le globe.

Certains ethnologistes pensent que les barbares ravageurs de Rome et de l’Europe ont laissé sur le littoral de l’Espagne et de la France des détachements qui s’y sont fixés d’une manière permanente, et qui, poussés par l’esprit aventureux de leur race, ont équipé des navires pour la guerre, la flibusterie, le commerce : les Basques, par exemple, dont il est