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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

aimer de tous, et ne s’épargnait lui-même en rien. Il inventait, tous les jours, quelque chose de nouveau pour l’utilité publique, et jamais on ne comprit mieux de quelle ressource peut être, dans un nouvel établissement, un esprit cultivé par l’étude. » Corneille a dit qu’un poète ne vaut pas un fendeur de pieu, mais il ne songeait pas qu’il y a des fendeurs de pieu qui sont poètes.

Au milieu de ces occupations, les Sauvages fréquentaient le poste, et, comme ils étaient en guerre avec des tribus éloignées, les gens de Port-Royal, qui couraient les côtes de la mer, étaient souvent attaqués. Il y eut, de part et d’autres, des morts et des blessés.

Poutrincourt avait établi un moulin à farine. L’idée de le faire travailler par des esclaves se présenta, comme naturellement. Il fut donc décidé que l’on userait de stratagème pour s’emparer de trois ou quatre Sauvages ; mais au cas où ceux-ci voudraient résister, les hommes chargés de l’opération avaient ordre de les poignarder, tout simplement.

Cette même année, 1607, cent Anglais débarquaient (13 mai) à James-Town, sur le bord de la rivière Pawhatan (James), en Virginie, et commençaient la première colonie stable que leur race ait eue sur ce continent.

« Le 24 de mai, apperçûmes, dit Champlain, une petite barque de six à sept tonneaux, qu’on envoya reconnaître, et trouva-t-on que c’était un jeune homme de Saint-Malo, appelé Chevalier, qui apporta lettres du sieur de Monts au sieur de Poutrincourt, par lesquelles il lui mandait de ramener ses compagnons en France. » C’était l’anéantissement des projets de Poutrincourt.

Il avait enfin fallu céder à l’orage. « Le sieur de Monts ne sut si bien faire, observe Champlain, que les volontés du roi ne fussent détournées par quelques personnages qui étaient en crédit, qui lui avaient promis d’entretenir trois cents hommes du dit pays. Donc, en peu de temps, sa commission fut révoquée, pour le prix de certaine somme que certain personnage eut sans que Sa Majesté en sût rien. »

Lescarbot, qui trouve toujours la note joyeuse, et qui n’était peut-être pas fâché de repasser en Europe, nous dit : « Chevalier, apporteur de nouvelles, avait eu charge de capitaine au navire qui était demeuré à Canseau. En cette qualité, on lui avait baillé pour nous amener six moutons, vingt-quatre poules, une livre de poivre, vingt livres de riz, autant de raisins et de pruneaux, un millier d’amandes, une livre de muscades, un quarteron de canelle, une demie livre de giroffles, deux livres d’écorces de citrons, deux douzaines de citrons, autant d’oranges, un jambon de Mayence et six autres jambons, une barrique de vin de Gascogne et autant de vin d’Espagne, une barrique de bœuf salé, quatre pots et demi d’huile d’olive, un baril de vinaigre et deux pains de sucre. Tout cela fut perdu par les chemins, par fortune de gueule, et n’en fîmes pas grand cas. Néanmoins, j’ai mis ici ces denrées afin que ceux qui voudraient aller sur mer s’en pourvoyent. Quant aux poules, aux moutons, on nous dit qu’ils étaient morts durant le voyage, ce que nous crûmes facilement, mais nous désirions au moins qu’on nous en eût apporté les os. On nous dit encore, pour plus ample résolution, qu’on pensait que nous fussions tous morts. Voilà sur quoi fut fondée