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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Ils furent de retour à Port-Royal le 14 novembre, et Lescarbot les y reçut avec des arcs de triomphe, sans compter la pièce de théâtre qu’il composa pour l’occasion.

Le 28 août (1606), Pontgravé repartit pour la France, avec ordre de capturer, en passant au cap Breton, les pêcheurs qu’il y trouverait en contravention aux ordonnances. Quand on ne fait pas fortune selon ses rêves, on la fait comme on peut : avec du canon et des textes de lois.

Vers le même temps, le fils de Pontgravé, appelé Robert, qui commandait un navire en Acadie, eut à se défendre contre les tracasseries de Poutrincourt, qui ne se faisait pas faute, d’une part, d’envoyer des chaloupes prier le père de lui fournir des vivres, et, de l’autre main, battait, emprisonnait et rançonnait le fils. Quel chapitre il y aurait à faire sur ces démêlés absurdes, nés de la rapacité des individus, des coutumes du temps et de la tolérance ignare de la cour !

L’hiver 1606-7 fut beaucoup plus doux que le précédent. D’ailleurs, les arrangements faits à Port-Royal différaient de la conduite imprévoyante que l’on avait tenue à l’île Sainte-Croix. « Nous passâmes cette saison fort joyeusement, dit Champlain, et fîmes bonne chère, par le moyen de l’ordre de Bontemps que j’y établis, que chacun trouva utile pour la santé, et plus profitable que toutes les médecines dont on pu user. »

Au printemps (1607), les explorations recommencèrent. Poutrincourt eut fait cent lieues pour examiner une apparence de mine. C’était pourtant un esprit droit, qui croyait à la possibilité d’une colonie basée sur l’agriculture ; mais il avait la passion du temps, et sacrifiait son énergie à des recherches stériles.

À Port-Royal, il n’y avait pas de femme. Pour cultivateur, on comptait quelques matelots désœuvrés. Aucune tête de bétail. Rien, en un mot, qui donnât l’idée d’une colonie fixe et surtout agricole.

« On fit du charbon de bois ; des chemins furent ouverts dans la forêt ; on construisit un moulin à farine, lequel, étant mû par l’eau, épargna beaucoup de fatigues aux colons qui avaient été, jusque-là, obligés de moudre leur blé à bras, opération des plus pénibles ; l’on fit des briques et un fourneau dans lequel on monta un alambic pour clarifier la gomme de sapin et en faire du goudron ; enfin, tous les procédés des pays civilisés furent mis en usage pour faciliter les travaux dans le nouvel établissement. Les Sauvages, étonnés de voir naître tant d’objets qui étaient des merveilles pour eux, s’écriaient dans leur admiration : « Que les Normands savent beaucoup de choses ! » C’est ainsi qu’ils appelaient les Français, parce que la plupart des pêcheurs qui fréquentaient leurs côtes étaient de cette partie de la nation. » (Garneau.) Ils distinguaient aussi les Malouins ou Bretons, et les Basques, mais, toutefois, la race française leur était connue comme nation de Normandie.

On fit cependant, un peu de jardinage. Lescarbot, qui n’aimait pas courir les aventures, s’improvisa cultivateur. En toute chose, l’improvisation était son fort. Lorsqu’il ne rimait pas des vers, il apprenait un métier.

« Lescarbot animait les uns et piquait les autres d’honneur, dit Charlevoix ; il se faisait