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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

naissant Français, il ne fit point d’alarmes. Néanmoins, l’un de ces deux hommes, là demeurés, dit La Taille, vint sur la rive du port, la mèche sur le serpentin, pour savoir qui nous étions (quoiqu’il le sut bien, car nous avions la bannière blanche déployée à la pointe du mat), et sitôt voilà quatre volées de canons qui font des échos innumérables, et de notre part, le fort fut salué de trois canonnades et plusieurs mousquetades, en quoi ne manquait notre trompette à son devoir. À tant, nous descendons à terre, visitons la maison, et passons la journée à rendre grâce à Dieu, voir les cabanes des Sauvages, et nous aller promener par les prairies. Mais je ne puis que je ne loue beaucoup le gentil courage de ces deux hommes, desquels j’ai nommé l’un, l’autre s’appelle Miquelet ; et méritent bien d’être ici nommés, pour avoir exposé si librement leurs vies à la conservation du bien de la Nouvelle-France, car le sieur du Pont, n’ayant qu’une barque et une patache pour venir chercher vers la Terre-Neuve des navires de France, ne pouvait point se charger de tant de meubles, blés, farine et marchandises qui étaient par delà… si ces deux hommes n’eussent pris le hasard de demeurer là pour la conservation de ces choses, ce qu’ils firent volontairement et de gaîté de cœur. »

Lescarbot ajoute en son vieux style : « Le vendredi, lendemain de notre arrivée, le sieur de Poutrincourt, affectionné à cette entreprise comme pour soi-même, mit une partie de ses gens en besogne, au labourage et culture de la terre, tandis que les autres s’occupaient à nettoyer les chambres, et chacun appareiller ce qui était de son métier. » Ce coup de charrue est le vrai commencement de la colonie française en Acadie.

Louis Hébert, apothicaire de Paris, avait accompagné Poutrincourt dès 1604, et c’est probablement lui qui dirigea les travaux d’agriculture dont parle ici notre poète ; car il ajoute, dans un autre chapitre : « Durant le temps que le dit sieur de Poutrincourt fut là, étant en doute si le sieur de Monts viendrait point faire une habitation en cette côte, comme il en avait désir, il y fit cultiver un parc de terre pour y planter du blé et semer la vigne, comme il fit, à l’aide de notre apothicaire, M. Louis Hébert, homme qui, outre l’expérience qu’il a en son art, prend grand plaisir au labourage de la terre. Et peut-on ici comparer le sieur de Poutrincourt au bon père Noë, lequel, après avoir fait la culture la plus nécessaire qui regarde la semaille des blés, se mit à planter la vigne, de laquelle il ressentit les effets par après. »

Au cours d’une exploration que fit Poutrincourt jusqu’au cap Malbarre, le digne apothicaire herborisa avec un zèle courageux ; ni les côtes escarpées, ni le mauvais temps, ni les Sauvages, pourtant hostiles, ne l’intimidèrent. Il étudia, entre autres choses, les vignes indigènes, dont il voulait faire une culture à Port-Royal. Nous retrouverons Hébert en Acadie, et plus tard à Québec, car il fut le premier laboureur de ces deux contrées, et les Acadiens comme les Canadiens voient en lui le colon fondateur de leurs races.

L’intention de Poutrincourt était d’amener sa famille à Port-Royal. Hébert pensait probablement de même, puisqu’il était marié (avec Marie Rollet) depuis quatre ou cinq ans au moins, et avait déjà deux enfants, que nous rencontrerons à Québec en 1617.