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PRÉFACE




L

es Canadiens sont les aînés de la race française dans l’Amérique du Nord, tant par leurs découvertes et leurs établissements durables sur presque tous les points de ces vastes territoires, que par leur prodigieuse force d’expansion, l’esprit national qui les anime et le caractère général de leurs institutions.

« Physiquement, disait lord Dufferin, dans une circonstance solennelle, l’Amérique est d’un aspect assez monotone. De même quant aux peuples qui l’habitent ; toutefois, si vous envisagez les Canadiens-français, une différence tranchée se manifeste : ils constituent un monde à part, qu’il faut non-seulement laisser vivre, mais encore favoriser, pour peu que l’on songe à l’avenir de ce jeune continent, où le groupe français du Canada est appelé à jouer, dans le domaine de l’intelligence, un rôle équivalent à celui de la France en Europe. »

L’Histoire a déjà enregistré les événements auxquels la famille canadienne-française a pris une part honorable, depuis deux siècles et demi. Il semble impossible, au premier abord, d’ajouter à l’éloquence des faits, ni de tirer de tout ce qui est connu des conclusions neuves. Nous avons pensé, cependant, que cette tâche restait à entreprendre — même qu’elle ne présente rien de trop difficile. Il suffit parfois de changer le titre d’un ouvrage pour qu’un horizon imprévu s’ouvre devant nos yeux étonnés. C’est ainsi que, au lieu d’écrire l’Histoire du Canada, nous écrivons l’Histoire des Canadiens-français. Le point de vue est de suite saisi : nous allons feuilleter les annales particulières des Français du Canada, aujourd’hui répandus de l’Atlantique au Pacifique, du golfe Saint-Laurent au golfe du Mexique ; parler de tout ce qui leur est propre ; composer un album de famille ; faire ressortir les gloires, les malheurs, les défauts et les qualités de la race.

Nous disons race parce que notre homogénéité est complète. Dieu aidant, le hasard a choisi pour former la colonie des bords du Saint-Laurent des hommes du nord de la France, tous d’une même trempe, et doués d’une vigueur physique, d’un tempérament moral dont on rencontre peu ou point d’exemple dans les noyaux d’établissements que l’Europe a éparpillés sur la surface du globe.

Il faudra donc étudier les origines de la colonie canadienne, suivre son organisation paroissiale avec ses conséquences, entrer dans la vie sociale, partir à la suite des missionnaires et des découvreurs qui pénètrent aux extrémités du continent, se mettre en marche à côté des milices dans leurs étonnantes expéditions, aller au Détroit, à la Rivière-Rouge, aux Montagnes-Rocheuses, sur le Mississipi, à la Louisiane, fonder des villages ; il faudra traverser la guerre de Sept Ans, qui transforma si étrangement notre situation ; connaître la vie politique ; saluer à mesure qu’ils apparaîtront les fils des « habitants » qui se distinguent sur une scène où leur activité