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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

De Monts n’avait pas été honnête dans le recrutement de ses colons. La patente royale était basée sur une idée chrétienne ; il avait embarqué des gens sans aveu, par conséquent incapables de remplir la mission qui leur incombait. Si nous en croyons Lescarbot, l’assemblage de l’île Sainte-Croix n’était pas du tout rassurant pour les hommes paisibles qui demeuraient dans ce lieu : il fallait monter la garde de nuit et prendre les précautions que l’on observe au milieu des brigands : « être contraint de se donner de garde, non des peuples que nous disons sauvages, mais de ceux qui se disent chrétiens et n’en ont que le nom, gente maudite et abominable, pire que des loups, ennemis de Dieu et de la nature humaine. »

Pour fonder sa colonie, de Monts n’avait amené ni laboureurs ni bestiaux. Pour prêcher le christianisme aux Sauvages, il avait un prêtre douteux et un ministre protestant. Une comédie selon les règles ! Le roi de France obéissait-il à une simple formule lorsqu’il s’exprimait comme suit dans les lettres-patentes adressées au sieur de Monts : « Étant mû d’un zèle singulier, avant toute autre considération, et d’une dévote et ferme résolution que nous avons prise, avec l’aide et l’assistance de Dieu, auteur, distributeur et protecteur de tous les royaumes, de faire instruire au christianisme les peuples qui habitent en ces contrées… nous vous avons établi lieutenant-général, etc ? » Ce document ne saurait être pris au sérieux, pas plus que ceux adressés à Roberval et aux autres « entrepreneurs. » Ce qui nous étonne, c’est qu’il se soit rencontré des écrivains assez naïfs pour broder sur ce thème des éloges à François Ier, à Henri III et à Henri IV. La duplicité du monarque est évidente ; il cherchait autre chose que la propagation de l’Évangile ; à vrai dire, ce point n’entrait pour rien dans ses calculs, et, cependant, on a réussi à le faire croire aux lecteurs. Non ! les Européens ne comprirent pas la « question coloniale » avant Richelieu (1626), et le Père Biard, qui écrivait en 1611, était du petit nombre d’hommes expérimentés, bien pensants, véritables chrétiens, qui savaient ce qu’il convenait de faire en ce pays : « Je suis contraint de cotter aucune raison qui m’émeuve l’âme quand je considère comme nous délaissons cette pauvre Nouvelle-France en friches, et quant au temporel et quant au spirituel, en barbarie et paganisme. Je sais prou que je profite bien plus de les alléguer aux oreilles de Notre Seigneur par ferventes prières, que de les marquer aux yeux des hommes par écriture morte. Néanmoins, tant plus ardemment je m’écrie devant Dieu en les pesant, tant plus je me sens pressé à les spécifier aux hommes en les écrivant. »

De Monts n’eut pas plus tôt mis le pied en France, qu’il jugea sa position désespérée. Il eut à expliquer ses actes de rapine. Les Bretons et les Basques ne se laissaient pas écorcher sans crier ; ils représentaient au roi que le revenu des douanes allait baisser à cause du monopole, et que le commerce et la navigation étaient en souffrance, sans compter les familles qui se trouvaient sans pain par suite de l’exclusion des pêcheurs libres sur les côtes du Canada et de l’Acadie. Ces jalousies et ces rivalités, comme on les a appelées, étaient légitimes, et nous ne voyons pas qu’il y ait lieu d’approuver un monopole dont les exploiteurs font si mauvais usage. On a dit aussi que le roi, en cédant aux plaintes des adversaires de de Monts, ruinait une entreprise qui ne pouvait se soutenir que par les