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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

chauffage et d’eau potable pour boire ou cuire les aliments. Tout paraît étrange aux yeux du lecteur canadien dans les misères et les souffrances des colons de Roberval, Chauvin et de Monts. Avoir sous la main de l’eau fraîche, du bois, de la viande, le tout en quantité, et ne pas savoir s’en servir, voilà qui dépasse le sens commun. Nous expliquons ces mécomptes par le choix des hommes appelés à vivre dans ce milieu nouveau. La majorité d’entre eux n’avaient connu que les villes ; ils étaient incapables de se suffire à eux-mêmes ; l’esprit d’initiative qui règne dans les populations des campagnes leur faisait absolument défaut. Ce ne fut point la même chose lorsque, plus tard, Champlain se vit en position d’enrôler des cultivateurs pour les terres du bas Canada ! Les ressources du pays s’offraient alors à ces hommes d’expérience et de bonne volonté ; ils en tiraient parti : l’esprit canadien régnait chez eux. Les gens de de Monts, au contraire, n’ayant aucune éducation préalable, s’appuyaient uniquement sur leurs chefs, et comme ces chefs ne savaient pas les inspirer, toute la colonie pâtissait. Il n’y a pas de théorie qui vaille : ce vice rédhibitoire constituait un obstacle infranchissable.

L’été venu, on fit choix du Port-Royal pour asseoir la colonie, non sans explorer auparavant les rivages de la mer jusqu’au cap Cod. Rien ne se présentait qui fût préférable au site du Port-Royal.

Soixante-dix ans après le premier voyage de Jacques Cartier, un noyau de colonisation prenait donc racine dans la Nouvelle-France. C’est de Port-Royal que datent les établissements européens sur notre sol. Des soixante dix-neuf personnes qui avaient survécu à l’hivernage de l’île Sainte-Croix, quarante-quatre se transportèrent dans l’endroit choisi ; mais le découragement se faisait sentir chez tous les individus qui composaient cette maigre colonie.

L’île Sainte-Croix est un îlot, à proprement parler. De Monts et Champlain ne cherchaient pas à cultiver la terre lorsqu’ils s’y établirent. Ils ne croyaient donc pas à l’habitant ? Alors, qu’espéraient-ils fonder ? Nous le savons, leurs récits nous l’apprennent : Prévert avait prétendu qu’il existait des mines de cuivre en Acadie, et l’on visait à l’exploitation des mines. L’automne de 1604, le bassin des Mines avait été exploré sans résultat ; un peu de gangue et quelques morceaux d’un métal très-peu riche était tout ce que l’on avait trouvé ; c’est pourquoi l’on pensa qu’il valait mieux se réfugier au Port-Royal et attendre les événements. Une idée fausse ne produit rien qui vaille. Fausse était l’idée de s’attacher aux mines. L’Espagne a vu couler des flots d’or dans ses comptoirs ; mais cet or, comme l’eau, a suivi la pente ; il avait été arraché aux entrailles de l’Amérique ; des millions d’indigènes l’avaient payé de leur vie ; le commerce l’a enlevé à l’impitoyable Espagne, et lorsque les manufactures de France et d’Angleterre l’eurent absorbé, le royaume auquel Colomb avait donné un monde dût se ranger humblement derrière les puissances de deuxième ordre. La mine par excellence, c’est le sol, c’est la culture, c’est le travail de l’habitant.

De Monts, décontenancé, ne recevant aucun secours, voulut repasser en France. Le voilà si doucereux qu’il cherche à amadouer les pauvres pêcheurs dont il se faisait le tyran