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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

plus tard, Lescarbot parle d’un champ de « blé mur, lequel était beau, gros, pesant et bien nourri, » qui fut trouvé sur l’île Sainte-Croix et dont on envoya des échantillons au port Royal.

La disette s’en mêla à son tour. Il fallut expédier une chaloupe au devant de Pontgravé à Canseau. De la venue du dernier navire dépendait désormais le salut de la petite troupe. À cette nouvelle, Pontgravé se hâta — sans toutefois oublier de mettre la main sur quelques Basques qui trafiquaient aux environs. Puis, ayant débarqué ses marchandises au poste du sieur de Monts, il fit voile pour la traite de Tadoussac, avec les captifs et les vaisseaux qu’il avait pris, « afin que justice en fut faite » en France.

Le mal-de-terre était le fléau des nouveaux hivernants. On sait qu’à Tadoussac, à Québec, aux Trois-Rivières, à Sorel, à Montréal, il eut des effets désastreux. Ce devait être le scorbut, combiné de fièvres malignes. Les malades affaiblissaient, leurs jambes enflaient, devenaient noires et tachetées de sang ; l’enflure finissait par gagner le haut du corps ; les gencives pourrissaient et tombaient avec les dents. « Cette maladie durait deux ou trois mois entiers, et tenait les malades jusqu’à huit jours à l’agonie. Ceux qui en étaient atteints répandaient une puanteur infecte. » « Cette contagion est si universelle chez les Sauvages de notre connaissance, que je ne sais si aucun en a évité les atteintes. »

Tels sont les témoignages des écrivains d’alors. « De tous les gens du sieur de Monts qui premièrement hivernèrent à Sainte-Croix, dit le Père Biard, onze seulement demeurèrent en santé. C’étaient les chasseurs qui, en gaillards compagnons, aimaient mieux la picorée que l’air du foyer et courir un étang que de se renverser paresseusement dans un lit, ou pétrir les neiges en abattant le gibier, que non pas de deviser de Paris et de ses rôtisseurs auprès du feu. » Lescarbot écrit à ce sujet qu’il « trouverait bon l’usage des poêles tels qu’ils sont en Allemagne, au moyen desquels ils ne sentent point l’hiver. » Les Canadiens ont inventé des poêles bien supérieurs à ceux des Allemands.

L’habitation de Sainte-Croix passait en conséquence, aux yeux de de Monts et de Champlain, pour impraticable. Le mal-de-terre effrayait les Européens au delà de toute mesure. Ils en mouraient « comme mouches, » et la perspective d’un établissement de quelque valeur se faisait de plus en plus lointaine. Fort heureusement, le Pont, comme on appelait Pontgravé, devait revenir de France à la prochaine navigation (1605). « Nous attendions nos vaisseaux à la fin d’avril. »

On avisait en même temps au moyen de changer de lieu. La rivière des Etchemins ne pouvait servir de base d’opération. On y manquait d’eau douce. Les yeux se tournèrent du côté de Port-Royal, déjà entrevu, et dont les avantages et les beautés naturelles avaient été remarqués. L’empire français en Amérique n’avait pas encore de capitale. Nous étions loin d’Ottawa.

À l’automne (1604), Champlain visita, en compagnie de de Monts, la côte des Etchemins, partie de la Nouvelle-Angleterre quelques années après.

L’hiver se passa plus mal que bien à lutter contre le scorbut, le manque de bois de