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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

fession. Quant aux interdictions (sur le commerce), comme les motifs et occasions de la dite entreprise concernent le seul bien et avancement de notre puissance et autorité et service, ce que l’on y voudrait apporter de nuisance, trouble ou retardement nous regarde et importe principalement, et n’estimons pas que autres que nous ou notre conseil en puisse juger avec tant de considération qu’il est requis pour notre service. »

La raison du plus fort est toujours la meilleure.

Il s’agissait, cette fois, d’exploiter l’Acadie[1]. De Monts se souvenait du climat de Tadoussac et des privations endurées par les hommes de Chauvin.

Le privilége embrassait aussi le fleuve du Canada et les côtes de la mer jusqu’à New-York. Ce mauvais grain de sénevé poussa si bien dans le terroir de la diplomatie, que les Français et les Anglais se sont égorgés pendant deux siècles afin de délimiter leurs possessions respectives dans ces contrées.

Outre la compagnie formée par son prédécesseur et qu’il conservait, de Monts avait l’appui des marchands de Rouen et de la Rochelle ; aussi son armement de quatre navires, préparé à Dieppe et au Havre-de-Grâce, était-il plus considérable que ceux envoyés jusqu’à ce moment à la Nouvelle-France. La traite était accordée à ces marchands l’espace de dix années. C’est la première fois que nous voyons la Rochelle figurer dans les compagnies du Canada. Deux de ces marchands se nommaient Macquin et Georges.

Champlain fut invité à se joindre à l’expédition ; le roi lui en donna le congé avec ordre de dresser un rapport de ses explorations.

Une recrue importante fut celle de Jean de Biencourt, sieur de Poutrincourt, compagnon d’armes de de Monts, dont il sera parlé plus loin. Plusieurs gentilshommes s’embarquèrent aussi en même temps, ainsi que cent vingt artisans et soldats, tant catholiques que protestants. Nous ne savons combien de pasteurs protestants étaient avec eux ; mais il y avait un prêtre catholique, nommé Nicolas Aubry, de Paris, jeune homme de bonne famille qui était parti contre le gré de ses parents, et le même qui s’égara dans les bois, en Acadie, pendant dix-sept jours, et dont Lescarbot et Champlain nous ont raconté l’aventure. On cite aussi dans ce voyage Louis Hébert, apothicaire, de Paris.

De Monts mit à la voile, au Havre-de-Grâce, le 7 mars 1604, avec deux navires, dont l’un était de cent vingt tonneaux et l’autre de cent cinquante, commandés par les capitaines Timothée, du Havre-de-Grâce, et Morel, de Honfleur. On mentionne aussi les pilotes Cramolet et Pierre Angibaut dit Champodoré. « Le six mai, dit Charlevoix, il entra dans un port de l’Acadie où il rencontra un navire qui faisait la traite malgré les défenses. Il le confisqua en vertu de son privilége exclusif, et le port fut nommé le port Rossignol[2], du nom du capitaine à qui appartenait le navire confisqué, comme si M. de Monts eût voulu dédom-

  1. Les anciens documents portent tantôt Acadie, tantôt Cadie. L’origine de ce nom est inconnue. On le retrouve dans les mots composés : Tracadie, Shubenacadie, Chykabenakdie. (Ferland : Cours d’Histoire du Canada, I. 64.) Ce nom, aussi vieux que la connaissance des terres qu’il désigne, n’a jamais été expliqué. M. Pascal Poirier le croit dérivé du scandinave.
  2. Aujourd’hui Liverpool.