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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Le privilége du 14 janvier 1588 accorde à Chaton et à Noël « le commerce exclusif du Canada pendant douze ans, avec faculté à eux de transporter chaque année dans ce pays, pour l’exploitation des mines découvertes ou à découvrir, soixante criminels, tant hommes que femmes, condamnés à mort ou à quelque peine corporelle. »

Les marchands de Saint-Malo ne voulurent pas céder la place sans résistance. Leur supplique porte, entre autres choses, que « le dit Noël en quelques voyages a fait office de pilote et ledit Jaunaye nullement, et aussi le dit Jauhaye n’est neveu ni héritier » (de Jacques Cartier). Il était cependant petit-fils de Bertheline, sœur de Cartier. « Pour le regard du dit Jaunaye, n’a jamais été au dit Canada. Vrai est que le dit Noël y a été comme y ont été plusieurs autres mariniers mercenaires, et toutefois a été les deux dernières années sans y aller, et autres de la ville de Saint-Malo ont toujours continué d’y aller. » Leur mémoire ajoute que certaines dettes contractées par Jacques Cartier, à l’occasion de ses voyages au Canada, n’étaient pas encore soldées. Ils plaidèrent si bien que, le 9 juillet suivant (1588), le privilége fut révoqué. Le parlement de Bretagne avait pris la peine d’intercéder en faveur des Malouins.

Nous ne verrons plus figurer la famille du découvreur du Canada dans les entreprises qui se rapportent à ce pays.

Au nombre des écrits de ce temps, il faut remarquer les « Discours sur l’état de la France, contenant l’histoire de ce qui est advenu depuis 1588 jusqu’en 1591, » publiés à Chartres en 1591. Ce volume de cent quarante-neuf pages, petit in-8, avait pour auteur Michel Hurault, conseiller d’État et chancelier de Navarre. Ce fut, dit M. Harisse, le point de départ des essais de colonisation tentés dans la Nouvelle-France sous Henri IV, après les efforts infructueux du marquis de la Roche. Henri de Bourbon, roi de Navarre, venait de prendre le nom de roi de France (Henri IV), et n’était probablement pas étranger aux « discours » de son chancelier. Reste à savoir qui avait inspiré l’un ou l’autre.

Il faut croire que les Malouins ne soutinrent pas longtemps leur crédit puisque, en 1591, un nommé Revaillon obtint de la couronne un privilége à peu près semblable à celui de Noël et Chaton. Quoiqu’il en soit, dans la situation étrange où se trouva la France après l’assassinat de Henri III (1589) jusqu’à la restauration de la paix publique (1598), il importait peu aux commerçants qui recherchaient les fourrures du Canada d’être appuyés ou non des signatures officielles. On continuait de mettre à la voile, du port de Saint-Malo, et d’y retourner, amenant de temps en temps, avec des peaux de martres, de loups-cerviers et de castors, quelques indigènes plus ou moins convaincus de la nécessité d’un pareil voyage, et qui, lorsqu’ils ne mouraient pas en France, y apprenaient les vérités chrétiennes, ainsi que la langue, pour servir ensuite d’interprètes.

Les Dieppois se tenaient à l’écart. Les Basques pêchaient la morue sur les bancs de Terreneuve. Les Bretons seuls osaient s’aventurer dans le Saint-Laurent.

Parmi ces derniers, remarquons le sieur de Pontgravé, négociant notable de Saint-Malo, fort entendu aux voyages de mer, ayant plusieurs fois fréquenté la « rivière de la grande