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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Son fils, François, anobli par Louis XIV, est une des illustrations de notre histoire, et sa descendance a longtemps exercé des charges importantes en Canada.

Joseph-Marie-Étienne Jonquet, natif de Normandie, épousa à Québec, l’automne de 1617, Anne, fille aînée de Louis Hébert. Ce mariage, le premier qui se soit fait au Canada, fut célébré par le Père Joseph Le Caron. Jonquet et sa femme moururent dans l’espace de deux ou trois ans, et ne laissèrent point de postérité.

Tels sont les individus dont la présence est constatée dans notre pays dès 1617. Ceux que les annales nous font connaître ensuite à des dates assez rapprochées, s’y trouvaient probablement déjà à l’arrivée d’Hébert ; mais rien n’est certain sous ce rapport.

Ce noyau primitif présentait des garanties de moralité que nous ne saurions laisser passer inaperçues ; car non-seulement elles honorent les chefs qui les avaient réunies, mais elles indiquent parfaitement d’où sont venus les Canadiens-français, puisque, à partir de 1617, nous allons suivre pas à pas la marche de la population stable, et voir arriver chaque nouveau colon, en expliquant les influences qui le conduisaient ici.

Cependant, il devait s’écouler encore à peu près dix-sept ans avant que nous n’eussions véritablement un centre agricole dans ce pays.

Quelle était donc, de 1608 à 1633, la physionomie distinctive des gens demeurant au Canada ? C’était celle de l’interprète et du « voyageur, » ou de l’interprète-voyageur, pour être mieux compris. Marsolet, Marguerie, Brulé, Hertel, Nicolet, les trois Godefroy, sont bien connus comme interprètes. Ils possédaient une instruction plus qu’ordinaire ; la plupart parlaient le latin, l’anglais et le hollandais. Remarquons qu’ils étaient tous âgés de moins de vingt ans, et sortaient de la Normandie. Ce ne pouvaient être des aventuriers, puisque Champlain les avait recrutés lui-même et les tenait sous sa main. On les voit conduire les missionnaires dont ils avaient préparé la visite en instruisant les capitaines de tribus et baptisant les enfants. Plus tard, fatigués de la vie des bois, ou voulant s’occuper de leur salut éternel, selon le désir exprimé par Jean Nicolet, ils renoncent à la profession si pénible qui avait fait le charme de leur jeunesse, se marient avec des Françaises, et fondent des familles au milieu de nos paroisses naissantes. Est-ce là le caractère de personnes sans aveu ou de simples coureurs de bois !

Marguerie, dont le courage, la force physique et la mâle beauté restent légendaires, eut des aventures à défrayer dix romans de Fenimore Cooper ; Marsolet, le petit roi de Tadoussac, penchant tantôt pour Champlain, tantôt pour Kertk, s’entêtant contre les Jésuites, puis leur prêtant aide et bon avis, devenant seigneur, puis marguiller, est un autre type curieux ; Hertel, qui portait des gants à frange d’or et des manteaux fastueux[1] jusque parmi les souches de son « désert, » et qui fut le premier syndic des Habitants ; les Godefroy, canotiers sans rivaux, vainqueurs des Sauvages dans les jeux athlétiques, fondateurs de seigneuries, commerçants et « Canadiens » ardents : voilà quels étaient ces fameux interprètes qui ont donné leur nom aux trente premières années de la colonie.

  1. Voir l’inventaire de sa garde-robe.