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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Malgré les rigueurs de l’hiver, Cartier ne se découragea pas. L’expérience est chose trop précieuse pour qu’un homme d’énergie néglige d’en tirer quelque bien. Il comptait revenir. Parti de Québec le 6 mai 1536, il arriva à Saint-Malo le 16 juillet. Durant quatre ans, il sollicita les moyens d’entreprendre une autre expédition. Enfin, le roi, débarrassé des affaires d’Italie, lui prêta l’oreille. Cette fois, il y avait un projet de colonisation, mêlé à d’autres vues il est vrai, mais qui mérite d’être cité tel que nous le connaissons. Cartier avait en cour un puissant auxiliaire dans la personne de Jean-François de la Roque[1], sieur de Roberval, gentilhomme que François Ier avait coutume d’appeler « le petit roi de Vimeu, » à cause de la grande considération dont il jouissait dans sa province, la Picardie. Ayant été nommé, le 15 janvier 1540, seigneur de Norembègue, vice-roi et lieutenant-général en Canada, Hochelaga, Saguenay, Terreneuve, Belle-Isle, Carpont, Labrador, la Grande-Baie (golfe Saint-Laurent) et Baccalaos, il contribua de tout son pouvoir à faire accorder au capitaine malouin les instructions suivantes :

« François, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut.

« Comme pour le désir d’entendre et avoir connaissance de plusieurs pays qu’on dit inhabités, et autres être possédés par gens sauvages, vivans sans connaissance de Dieu et sans usage de raison, eussions dès-pie-ça[2] à grands frais et mises, envoyé découvrir les dits pays par plusieurs bons pilotes, et autres nos sujets de bon entendement, savoir et expérience, qui d’iceux pays nous auraient amené divers hommes que nous avons par longtems tenus en notre royaume, les faisant instruire en l’amour et crainte de Dieu et de sa sainte loi et doctrine chrétienne, en intention de les faire remener ès dits pays en compagnie de bon nombre de nos sujets de bonne volonté, afin de plus facilement induire les autres peuples d’iceux pays à croire en notre sainte foi ; et entr’autres y eussions envoyé notre très-cher et bien-amé Jacques Cartier, lequel aurait découvert grand pays des terres de Canada et Hochelaga faisant un bout de l’Asie[3] du côté de l’occident ; lesquels pays il a trouvé (ainsi qu’il nous a rapporté) garnis de plusieurs bonnes commodités, et les peuples d’iceux bien fournis de corps et de membres et bien disposés d’esprit et entendement ; desquels il nous a semblablement amené aucun nombre[4], que nous avons par longtems fait voir et instruire en notre dite sainte foi avec nos dits sujets ; en considération de quoi et de leur bonne inclination nous avons avisé et délibéré de renvoyer le dit Cartier ès dits pays de Canada et Hochelaga, et jusques en la terre de Saguenay[5] (s’il peut y aborder) avec bon

  1. Jean-François de la Roque, chevalier, seigneur de Roberval, de Nogens et de Prax ; il signait : « J. la Roque. »
  2. Vieux mot qui signifiait : il y a longtemps, ou depuis longtemps.
  3. Cartier, rendu à Montréal, se croyait assez proche des mers de Chine.
  4. Sur neuf chefs de Sauvages pris par stratagème, en 1536, six étaient morts en moins de deux ans. Les trois autres reçurent le baptême, dans la cathédrale de Saint-Malo, le 25 mars 1538. Ces enlèvements ne disaient rien à la conscience des peuples de l’Europe, qui avaient journellement sous les yeux le spectacle de catholiques brûlant des protestants et de protestants brûlant des catholiques.
  5. On avait fait croire à Cartier que le « royaume du Saguenay » était riche en or et en métaux précieux.