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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Le navire leva l’ancre le 11 avril (1617), laissant les parties aux prises devant les tribunaux. Le 24 avril, Concini était assassiné par permission du roi[1], et le pouvoir passait au duc de Luynes, auteur de cette sanglante tragédie. Le prince de Condé ne s’en trouva ni mieux ni pire ; il resta en prison encore deux années, et le Canada continua de subir la conséquence de ces haînes entre les grands.

Après une traversée orageuse, le capitaine Morel arriva à Tadoussac le 14 juin, et les passagers se dirigèrent sur Québec[2]. Hébert avait apporté quelques tiges de pommiers[3], qui augmentèrent le nombre de ceux envoyés, huit ou neuf années auparavant, par M. de Monts. « Il commença de suite à faire défricher le terrain sur lequel se trouvent la cathédrale et le séminaire[4]. »

C’est ici que commence véritablement l’histoire de la colonisation du Canada. La charrue figure à la place d’honneur dans nos armoiries.

La conquête du sol par l’homme blanc fut le signal de la destruction des Sauvages. Ces races, incapables de se plier à l’agriculture et de comprendre notre civilisation, se mirent à reculer à mesure que nous envahissions la contrée. L’un après l’autre, les territoires de chasse, entamés par les laboureurs, devinrent des champs fertiles où se groupa toute une population étrangère de croyance, de langue, de mœurs et de coutumes. Il faut peu d’espace à l’Européen pour se loger et se procurer la subsistance. L’Américain, au contraire, demande pour chacune de ses familles autant de terre que nous en embrassons dans quatre ou cinq paroisses réunies. Avançant comme une armée invincible, la race blanche a pénétré partout, et nos premiers rangs n’ont eu qu’à se montrer, la hache à la main, sur la lisière de la forêt pour s’assurer la possession de ces vastes domaines. Ce qui reste aujourd’hui des Hurons et des Algonquins ignore presque autant qu’autrefois le maniement de la charrue. L’une des compositions en vers de M. F.-X. Garneau, intitulée : le Dernier Huron, décrit une scène très poétique qui trouve naturellement sa place ici :


« Triomphe, Destinée ! Enfin, ton heure arrive,
Ô peuple, tu ne seras plus ;
Il n’errera de toi, bientôt, sur cette rive
Que des mânes inconnus.
En vain, le soir, du haut de la montagne
J’appelle un nom, tout est silencieux.
Ô guerriers, levez-vous ! couvrez cette campagne,
Ombres de mes aïeux ! »

Mais la voix du Huron se perdait dans l’espace
Et ne réveillait plus d’échos,
Quand, soudain, il entend comme une ombre qui passe,
Et sous lui frémir des os.

  1. Louis XIII était âgé de seize ans. Il débutait.
  2. Œuvres de Champlain, 596, 615.
  3. Relation de 1636, p. 45.
  4. Ferland : Notes, pp. 9, 10. Œuvres de Champlain, p. 988.