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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Dans le même moment, la disette et le scorbut exerçaient leurs ravages sur cinquante à soixante hommes qui hivernaient à Québec, manquant de poudre pour faire la chasse et de vivres pour suppléer à cette négligence de leur patron. Champlain faisait des vœux pour que le prince l’emportât sur le maréchal ; le duc de Montmorency[1], amiral de France, s’interposa par le moyen du sieur de Villemenon, intendant de l’amirauté ; Thémines fut nommé lieutenant du roi en la Nouvelle-France, et le revenu de la charge de vice-roi partagé de telle façon, qu’il resta une légère somme destinée à la colonie. Cette décision paraît avoir été prise au commencement de 1618, alors que Champlain était retourné à Québec.

Du 10 septembre 1616 au 10 avril 1617, Champlain ne cessa d’exposer aux marchands associés dans l’entreprise du Canada la nécessité d’augmenter la petite colonie et de fortifier Québec ; car ce poste était ouvert à qui eût voulu le prendre. Les associés « objectaient, dit M. Laverdière, que leurs dépenses étaient énormes, et que, dans un moment de trouble comme on était alors en France, la compagnie, d’une année à l’autre, pouvait avoir le même sort que celle de M. de Monts, et qu’ils en seraient pour leurs frais. Champlain leur représenta que les circonstances étaient bien changées. M. de Monts n’était qu’un simple gentilhomme, qui n’avait pas eu assez d’autorité pour se maintenir, contre l’envie, dans le conseil de Sa Majesté, mais que, maintenant, ils avaient pour protecteur et vice-roi du pays un prince qui les pouvait protéger envers et contre tous sous le bon plaisir du roi. » C’était peut-être un peu trop faire l’éloge de Condé.

N’oublions pas que le commerce de Saint-Malo continuait son opposition aux choses du Canada. On en voit la preuve dans des pièces du 9 septembre 1615, 5 novembre 1616, 29 octobre 1617, et 23 octobre 1618[2]. Ceux mêmes qui étaient de la compagnie n’entraient que le moins possible dans les vues de Champlain. « Ils s’embarrassaient fort peu de ce qui ne contribuait pas à remplir leurs magasins de pelleteries, et ne faisaient qu’à regret les avances pour l’établissement d’une colonie qui ne les intéressait que fort peu, et ne le faisaient jamais à propos. M. le prince croyait faire beaucoup en prêtant son nom : d’ailleurs, les troubles de la régence, qui lui coûtèrent alors sa liberté, et les intrigues qu’on fit jouer pour lui ôter le titre de vice-roi et pour faire révoquer la commission du maréchal de Thémines, à qui il avait confié le Canada pendant sa prison ; le défaut de concert entre les associés ; la jalousie du commerce, qui brouilla les négociants entre eux : tout cela mit bien des fois la colonie naissante en danger d’être étouffée dans son berceau ; et l’on ne saurait trop admirer le courage de M. de Champlain, qui ne pouvait pas faire un pas sans rencontrer de nouveaux obstacles, qui consumait ses forces, sans songer à se procurer aucun avantage réel, et qui ne renonçait pas à une entreprise pour laquelle il avait continuellement à essuyer les caprices des uns et la contradiction des autres[3]. »

En dépit de ces misères, un embarquement, beaucoup plus considérable que les précédents, se préparait à Honfleur, par les soins et l’activité de Champlain et de Monts.

  1. Condé était marié à Charlotte de Montmorency, sœur du duc.
  2. Michelant et Rainé : Jacques Cartier, pp. 44-9.
  3. Charlevoix : Histoire, I. 156-7.