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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de ces terres. Dieu, par sa grâce, fasse prospérer cette entreprise à son honneur, à sa gloire, à la conversion de ces pauvres aveugles, et au bien et honneur de la France. »

La compagnie que Champlain voulait former était toujours celle qu’il avait eu en vue depuis l’automne de 1611. On se souvient que rien n’était conclu au moment où il s’embarquait pour le Canada, au printemps de 1613. L’idée fondamentale consistait à raffermir l’établissement de Québec, à occuper divers autres postes du Canada d’une manière permanente, et à convertir les Sauvages, soit en les attirant près des Français, soit en leur envoyant des missionnaires. Un pareil projet, qui était tout à l’avantage du nom français et à la gloire de Dieu, ne rencontrait cependant ni bailleurs de fonds ni protecteur zélé. Champlain se rabattit sur les bénéfices de la traite, seule ressource qui lui restât en présence du manque de patriotisme de la cour et des grands. Les sacrifices personnels qu’il avait faits de son temps et d’une partie de la dot de sa femme ne pouvaient pas constamment se répéter. Il devenait nécessaire de s’ouvrir un crédit quelque part ; sans cela, Québec tombait en ruine, et la perspective de fonder de nouvelles habitations devenait de plus en plus problématique. Or, pour tirer une redevance des armateurs et des marchands qui faisaient le commerce du Canada, il ne fallait pas songer à prélever des droits isolément sur les navires, comme Henri IV avait cru devoir le permettre à de Monts : les frais de perception absorbaient plus que la somme encaissée. Une compagnie répondait mieux au besoin du moment. Il est vrai que c’était créer un monopole, chose toujours dangereuse, souvent nuisible ; mais on observera que Champlain y admettait, à part égale, les gens de la Rochelle, de Saint Malo et de Rouen, c’est-à-dire la Saintonge, la Bretagne et la Normandie, les trois principaux foyers d’entreprises de ce genre qu’il y eût alors en France. Fondée sur une base aussi large, sa compagnie ne mettait aucun intérêt dans l’ombre et pouvait enrichir ses membres tout en contribuant à développer la jeune colonie des bords du Saint-Laurent. « En ce temps, écrit Champlain, il fallait de tout bois faire flèche. »

Au rendez-vous assigné, à Paris, l’automne de 1613, il n’y eut de présent que les délégués de Saint-Malo et de Normandie ; ceux de la Rochelle s’abstinrent ; un délai leur fut accordé, à l’expiration duquel, ne s’étant pas présentés, la traite, au lieu d’être réglée en trois parties comme on l’avait annoncé, fut divisée moitié par moitié entre la Bretagne et la Normandie. La société, constituée pour une durée de onze ans, fut agréée par le prince de Condé et ratifiée par le conseil du roi.

Les Rochelois ne tardèrent pas à voir leur béjeaune. Ils employèrent l’intrigue et surprirent la bonne foi du prince de Condé, dont le seul mérite consiste à avoir été le père du grand Condé. La lutte commença par un procès, « lequel est demeuré au croc, » dit Champlain, puis ils obtinrent de Condé un passeport pour un vaisseau à eux, qui se perdit à la côte du nord, avant que d’arriver à Tadoussac. « Sans cette fortune, il n’y a point de doute que, comme il était bien armé, il se fût battu… Partie des marchandises de ce vaisseau furent sauvées et prises par les nôtres, qui en firent très bien leur profit avec les Sauvages, » ajoute Champlain, ce qui donna lieu à un procès dont le résultat fut favorable à la compagnie de