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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

plus particulièrement l’avenir, aurait pu subventionner ces entreprises à long terme, si intéressantes pour le pays ; mais les hommes d’État à cette époque avaient pour soucis principaux la guerre au dehors et leur autorité au dedans. Quant à la société, elle vivait bien plus par les individus que par l’État, par ses traditions et par ses mœurs plutôt que par ses lois : on pourrait dire que c’était à peu près le contraire de ce qui se passe aujourd’hui.

« Ne donnant pas de subsides, l’État n’avait qu’un moyen d’aider le mouvement colonisateur : c’était d’accorder aux entrepreneurs des priviléges commerciaux qui pussent leur procurer des bénéfices prompts, extraordinaires, ou du moins les leurrer de cet espoir (car la théorie des priviléges commerciaux était plus séduisante que profitable, plus spécieuse que solide ; cercle vicieux où l’on escomptait avec une perte énorme le produit de l’avenir, pour créer au début quelques revenus artificiels). » (Rameau.)

L’idée coloniale, juste, droite, pratique et facile à exécuter, n’était pas comprise en Europe. Que disons-nous ! elle ne l’est pas encore, en l’année 1880. Quelques hommes de génie : Champlain, Poutrincourt, Richelieu, Colbert, Vauban, le maréchal de Belle-Isle, l’ont saisie au passage, sans pouvoir l’appliquer plus qu’un instant ; mais la masse des meneurs politiques ne s’en est jamais douté. De là les fautes multiples dont l’histoire des pays d’Amérique nous montre le spectacle.

« Qui peut entreprendre quelque chose de plus grand et de plus utile qu’une colonie. N’est-ce pas par ce moyen, plus que par tous autres, qu’on peut, avec toute justice, s’agrandir et s’accroître ? » s’écriait Vauban, un siècle après la fondation de Québec, c’est-à-dire après cent ans de mécomptes, de tâtonnements, de souffrances et de périls de tous genres, supportés par les Canadiens. Vauban ne fut pas compris.

Quinze jours après avoir reçu sa commission, Champlain apprit la mort du comte de Soissons, décédé le premier novembre 1612.

Le roi lui donna pour successeur Henri de Bourbon, second du nom, prince de Condé, premier prince du sang, premier pair de France, gouverneur et lieutenant du roi en Guienne. Celui-ci nomma Champlain son lieutenant, par une commission du 22 novembre.

« La dite commission, dit Champlain, ne fut sitôt faite, que quelques brouillons, qui n’avaient aucun intérêt en l’affaire, l’importunèrent de la faire casser, lui laissant entendre le prétendu intérêt de tous les marchands de France, qui n’avaient aucun sujet de se plaindre, attendu qu’un chacun était reçu en l’association, et par ainsi aucun ne pouvait justement s’offenser. C’est pourquoi leur malice étant reconnue, fut rejetée, avec permission seulement d’entrer en l’association. »

Aussitôt après la nomination du prince de Condé, des lettres royales furent adressées au procureur (Nicolas Frottet, sieur de la Landelle) de la communauté de Saint-Malo, donnant avis de la défense portée au sujet du commerce du Canada contre ceux qui n’entreraient pas dans la nouvelle compagnie. Par délibération du 22 novembre, la communauté décida de « n’empêcher le sieur du Monts de trafiquer à Canada, suivant ses permissions, ayant çi-devant prêté son nom aux particuliers de cette ville d’obtenir à leurs frais de pouvoir