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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de colonisation qui ne colonisaient point. D’ailleurs, les marchands s’étaient déclarés prêts à céder leurs droits, argent comptant, et madame de Guercheville les avait pris au mot.

Le texte du contrat, que Lescarbot nous fournit, montre que les Jésuites étaient mis sur le pied d’associés dans l’entreprise : « Daniel de Quenteville, bourgeois, conseiller-échevin de la ville de Dieppe… par devant Thomas Le Vasseur, tabellion… furent présents Thomas Robin, écuyer, sieur de Collognes… et Charles[1] de Biencourt, écuyer, sieur de Saint-Just[2]… confessèrent avoir associé avec eux… Pierre Biard, supérieur de la mission de la Nouvelle-France, et Énemond Massé, de la compagnie de Jésus. » L’argent donné par la marquise de Guercheville devenait « un bon fonds pour y perpétuellement entretenir les Jésuites, sans qu’ils fussent à charge au sieur Poutrincourt, et que pour ainsi le profit des pelleteries et pêche que ce navire rapporterait ne reviendrait point en France pour se perdre entre les mains des marchands. »

Le Père Biard, né à Grenoble en 1565, enseignait la théologie à Lyon depuis neuf ans, lorsqu’il fut désigné aux missions de l’Acadie. Il s’était offert pour le même objet en 1608. « C’est un homme fort savant, Gascon de nation, duquel monsieur le premier président de Bordeaux m’a fait bon récit, » raconte Lescarbot.

Le Père Énemond Massé, né à Lyon vers 1574, entrait, à l’âge de vingt ans, dans la compagnie de Jésus. Il était devenu assistant du célèbre Père Coton, prédicateur du roi ; mais, en entendant parler du Nouveau-Monde, sa vocation de missionnaire se révéla ; il quitta la cour avec joie pour suivre les fondateurs de l’Acadie.

Les Pères Biard et Massé s’embarquèrent, à Dieppe, sur la Grâce-de-Dieu, d’une soixantaine de tonneaux, capitaine Jean Daune, pilote David, de Bruges, tous deux protestants, avec le sieur de Biencourt, le 26 janvier 1611. Le navire était mal équipé, et monté par des matelots la plupart hérétiques, dit le Père Biard. Comme les finances du jeune chef de l’expédition n’étaient pas florissantes, les religieux lui aidèrent de leur bourse ; ils arrivèrent à Port-Royal le 22 mai, jour de la Pentecôte, après avoir souffert la famine durant cette longue traversée.

En route, vers la fin d’avril, ils avaient rencontré Champlain, qui se dirigeait vers Québec, au milieu des banquises.

Sur la Grâce-de-Dieu devait se trouver aussi madame de Poutrincourt, l’une des premières Françaises qui soient passées dans la Nouvelle-France. En tous cas, elle était à Port-Royal cette année (1611). Madame Hébert paraît y être allée dès 1606. Il est naturel aussi de croire que madame de Poutrincourt dût s’efforcer d’engager d’autres personnes de son sexe à la suivre dans ce pays. Le Père Biard, écrivant de Port-Royal, au mois de janvier 1612, dit : « Nous sommes vingt, sans compter les femmes. »

  1. Charles, et son frère, Jacques, s’embarquèrent, à Dieppe, le 25 février 1610, comme il a été dit plus haut. Ils allaient en Acadie, où leur frère, Jean, était rendu depuis 1608. Ils étaient donc trois frères.
  2. La terre ou domaine de Saint-Just, en Champagne, passa à Charles, après le décès de madame de Poutrincourt, vers 1616. On voit ici qu’il portait le nom de cette terre dès 1611.