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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

tribua ces billets terriens signés de sa main, que l’on retrouva encore quatre-vingts ans plus tard, et qui ont été les premiers actes et la première ébauche de l’organisation féodale des tenanciers européens dans le Nouveau-Monde. » (Rameau.)

Poutrincourt n’oublia pas sa promesse. Il se hâta d’envoyer (8 juillet 1610) son fils, Jean de Biencourt, âgé d’environ dix-neuf ans, porter ces nouvelles en France et se procurer des vivres dont il était mal pourvu.

« Le moyen de pouvoir trouver secours était une association qu’il avait contractée avec le sieur Thomas Robin dit de Coloignes[1], fils de famille, et en puissance de père, par laquelle association ils convenaient entre eux que le dit de Coloignes fournirait l’habitation de Port-Royal durant cinq ans de toutes choses nécessaires, et foncerait abondamment pour pouvoir troquer avec les Sauvages ; et moyennant ce, il aurait les émoluments qu’il serait ici trop ennuyeux de raconter. » (Le Père Biard.) Ils arrivèrent tous deux à Paris, au mois d’août (1610). Henri IV avait été assassiné le 14 mai précédent, et bien des choses étaient changées à la cour. Madame la marquise de Guercheville demanda au Père Coton si les Pères Jésuites se préparaient à suivre Biencourt ; il lui fut répondu que les lettres reçues de Poutrincourt n’en parlaient point. Alors elle s’adressa au sieur Robin, qui était chargé de tout ce qui concernait l’embarquement. Celui-ci n’hésita pas, quoique ce fût une condition nouvelle pour lui ; il offrit de se charger de la dépense. Madame de Guercheville lui annonça que le roi s’était engagé à cela, et, sur sa prière, Robin se rendit auprès du Père Christophe Balthazar, provincial des Pères Jésuites, lequel désigna pour les missions les Pères Biard (alors à Poitiers) et Énemond Massé. Le roi Louis XIII, âgé de neuf ans, et qui était confié à la direction de sa mère, Marie de Médicis, affecta cinq cents écus, somme promise par son père, à l’entretien des religieux ; mesdames de Guercheville, de Verneuil et de Sourdis firent cadeau de riches ornements. Arrivés à Dieppe, le 24 octobre (1610), où était fixé le lieu de l’embarquement, les Pères eurent contestation avec ceux qui étaient en devoir de faire radouber le navire, deux marchands huguenots, Duchesne[2] et Dujardin, et ils se retirèrent à leur collége d’Eu.

À cette nouvelle, madame de Guercheville fit une collecte en cour, racheta les droits de ces deux marchands (quatre mille livres), et comme, après cela, il lui restait une certaine somme en main, elle en composa un fonds pour empêcher que les Pères ne fûssent à charge à Poutrincourt, laissant à celui-ci l’ordre de consacrer tout le revenu de ses pêcheries et du commerce de fourrures au maintien de Port-Royal, dont les administrateurs seraient les sieurs Robin et de Biencourt, et même que les missionnaires recevraient leur part de cet argent. Ce contrat d’association (20 janvier 1611) témoigne de l’énergie et de l’habileté de cette femme chrétienne, quoi que les parties évincées aient pu dire à l’encontre du droit qu’il lui arrogeait. Mieux valait un monopole de cette nature que d’être à la merci des entrepreneurs

  1. Demeurant à Paris. Il était fils de M. de Sicoine, gouverneur de la ville de Dieppe, « catholique plein de zèle et de piété », dit le Père Biard.
  2. D’autres le nomment Duquesne, et disent qu’il fut le père du fameux marin de ce nom.